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Comment s’est écroulé ce bizarre empire qui, dans sa macaronique structure, offrait, après tout, de très sérieuses conditions de solidité et de durée ? Faustin Ier, comme Toussaint, Dessaline et Christophe, régnait par le plus indélébile sans contredit des principes humains, l’antagonisme des peaux, et, de plus que les autres tyrans nègres, il avait pour lui : au dehors la reconnaissance des gouvernemens européens, au-dedans la désorganisation et la dispersion des partis vaincus, les mystérieux moyens de popularité et de police que lui donnait son affiliation au vandoux[1], le respect sympathique des masses, dont il avait séduit l’imagination par la sanglante audace de son coup d’état, et dont il flattait les instincts à la fois envieux et vaniteux, d’une part en écrasant la bourgeoisie noire et jaune, d’autre part en recrutant de préférence le personnel des ducs, des comtes et des barons de l’empire parmi les va-nu-pieds du pays. Faustin Ier avait en sa faveur jusqu’à la répulsion soulevée par ses auxiliaires les piquets et les zinglins[2], qui, lui tombant, profiteraient, disait-on, du désarmement et de la prostration des intérêts libéraux pour recommencer les promenades terroristes et les émeutes communistes de 1848, et qui, lui debout, se trouvaient du moins groupés et maintenus autour d’un ordre social tel quel. Les loups en campagne sont plus redoutables qu’autour de la curée : c’est l’avis des moutons. Comme il n’y a pas d’ailleurs de hache qui ne s’émousse à force de cogner, le despotisme de l’empereur noir était devenu tolérable par le contraste ; on lui pardonnait le mal qu’il avait fait en faveur du mal qu’il ne faisait pas. Soulouque n’apercevait plus, à la hauteur de son bras, de têtes à abattre, par cela seul qu’autour de lui tous les fronts touchaient la terre, et, rassurée de ce côté, la bourgeoisie avait fini par se dire qu’après tout, être prosterné, c’est une façon d’être couché : elle dormait. Voilà du moins où notre récit laissait les choses en 1851[3]. Quel coup de tam-tam a rompu le charme ? D’où vient et quel est ce général Fabre Geffrard dont, le vendredi soir 14 janvier, les trois cinquièmes des Haïtiens n’auraient pas même osé murmurer le nom, et qui, le samedi matin, signait la grâce du Tibère nègre ? Enfin que signifie l’incohérent amalgame qui groupe autour de la personnalité rassurante du nouveau président, non-seulement les ministres, les chambellans, l’état-major, le sénat, la chambre élective, le conseil d’état, les tribunaux de Soulouque, mais encore les plus forcenés sicaires de l’empereur déchu, les notabilités

  1. Mélange de sorcellerie et de franc-maçonnerie africaines.
  2. Piquets, égorgeurs du sud ; — zinglins, égorgeurs de Port-au-Prince.
  3. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes, l’Empereur Soulouque et son Empire, livraisons du 1er et 15 décembre 1850, 15 janvier, 1er février, 15 avril, 1er mai 1851.