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avait sonné. Si les enfans perdus de son parti, les Ferguson et les Rumsey, se montrèrent prêts à le suivre, Monmouth et Russell eux-mêmes le trouvèrent trop impatient ; ils perdirent du temps. Se voyant sans ressources dans un péril certain, il s’embarqua secrètement, le 18 novembre 1682, pour chercher un asile en Hollande.

Il avait raison. Le glaive suspendu sur sa tête tomba bientôt sur celle de Russell et de Sidney. Locke, connu par ses opinions libérales, ami et confident du plus haï des opposans, dépositaire de quelques-uns de ses papiers, comprit qu’une vie obscure et tranquille n’était pas un abri assuré contre la tyrannie. Bientôt il eut la douleur d’apprendre que Shaftesbury était mort presque subitement à Amsterdam, au mois de janvier 1683, et il assista à ses funérailles, lorsque ses restes furent rapportés dans le Dorsetshire. Menacé dans la persécution universelle, il vit que l’accusation de trahison contre Sidney se fondait sur des papiers trouvés dans son cabinet. Il brûla quelques-uns de ceux qui pouvaient le compromettre, et notamment des mémoires de lord Shaftesbury, écrits par lui-même. C’est afin de réparer cette perte, irréparable pour l’histoire, qu’il composa plus tard une vie de cet homme d’état. Elle n’est pas achevée, et se trouve dans ses œuvres. Malgré ces précautions, il ne se crut pas encore en sûreté, et à la fin d’août il se réfugia en Hollande.


IV

Locke n’était pas un exilé. Il s’absentait par prudence, et le soin de sa santé motivait suffisamment un voyage sur le continent ; mais cet exil volontaire le confondait avec des hommes qui n’avaient de commun avec lui que la haine de la même tyrannie. Tous ceux qui souffrent pour une bonne cause ne sont pas également dignes d’elle ; tous du moins ne la servent pas avec les mêmes principes et les mêmes desseins. Parmi les réfugiés que Locke trouvait en Hollande, il y en avait, comme le duc de Monmouth, dont l’ambition remuante et téméraire déplaisait à sa sagesse ; il y en avait, comme Robert Ferguson, qu’une vie d’intrigue et d’aventures, des opinions instables et violentes, des habitudes de désordres et de complots, lui rendaient odieux et suspects. Déjà, à Oxford, il avait, par ordre de ses supérieurs, été entouré de délateurs, chargés d’épier, de provoquer ses conversations et de surprendre dans ses paroles le crime de ses opinions ou de ses amitiés. Sa prudence et sa réserve avaient déjoué ce honteux espionnage. Sa réserve et sa prudence