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sacrifié malgré ses précieux services ; mais en même temps qu’elle donnait par l’éloignement de ses amis satisfaction aux susceptibilités populaires, la princesse implorait avec instance l’envoi du duc de Vendôme pour prendre le commandement de l’armée espagnole, et Louis XIV de son côté, au moment où il s’obligeait à rappeler d’Espagne le dernier soldat français, y envoyait le général qui allait sauver la couronne de son petit-fils.

Arrivé vers le milieu de l’année 1710, Vendôme déploya une activité que ne paraissaient pas comporter ses habitudes pour réunir et armer les volontaires qui, du sommet des sierras, descendaient en foule dans les plaines des deux Castilles à la voix d’un monarque devenu la personnification de la patrie. Il transforma en une belle et bonne armée les guerrillas indisciplinées dont le courage avait été jusque-là inutile ; en peu de mois, l’armée anglo-autrichienne, à la tête de laquelle le prince qui prenait le nom de Charles III avait pu paraître quelques heures dans la capitale déserte, se trouva en face de troupes aguerries en mesure de reprendre un terrain qui jusqu’alors n’avait pas été sérieusement disputé. Sous l’irrésistible élan d’un grand peuple qui s’était enfin retrouvé lui-même, l’armée anglaise de lord Stanhope capitulait à Brihuega après un carnage effroyable, et Stahrenberg, écrasé à son tour à Villaviciosa, emportait dans sa fuite les dernières espérances de la maison d’Autriche.

L’Espagne avait ainsi résolu par ses seuls efforts la grande question qui avait armé l’Europe depuis si longtemps. Au commencement de 1711, Philippe V avait acquis pour son trône une sécurité que Louis XIV n’avait point encore obtenue pour l’intégrité de ses frontières, et sans méconnaître l’influence de la victoire de Denain, si miraculeusement opportune, il est juste, je crois, de faire une part beaucoup plus large qu’il n’est d’usage à la victoire tout espagnole de Villaviciosa dans les conditions inespérées obtenues par la France à la paix d’Utrecht. Si le nouveau ministère de la reine Anne parvint à faire supporter ce traité à la nation anglaise, ce fut en effet en constatant, sans rencontrer de contradicteurs, que l’établissement de la dynastie française dans la Péninsule y avait conquis l’autorité d’un fait irrévocablement consommé. Le réveil de la nation espagnole eut donc sur les affaires européennes un effet décisif, et lorsqu’en laissant la France presque intacte, les traités d’Utrecht eurent morcelé la monarchie des rois catholiques, les auteurs du grand mouvement populaire couronné par la victoire de Villaviciosa purent considérer sans prévention leur pays comme sacrifié, malgré le poids qu’il avait apporté dans la balance.

Dans cette œuvre, Mme des Ursins avait eu certainement une part très considérable, et c’était avec la plus juste fierté qu’elle pouvait