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que Locke vit le grand voyageur Bernier, qu’il nomme quelquefois dans son journal. Remarquons-le, parce que Bernier est l’auteur d’un excellent abrégé de la philosophie de Gassendi, et que Gassendi a souvent passé pour avoir inspiré la philosophie de Locke.

Il note également qu’il vit dans les jardins de Versailles Louis XIV se promènera pied avec Mme de Montespan, après l’avoir conduite, elle et deux autres dames, en carrosse à six chevaux. Quoiqu’il trouvât le palais, les appartemens et les escaliers fort petits pour de si grands personnages, il ne négligea pas de retourner à la cour et assista à l’opéra d’Alcesle, où il vit le roi assis auprès de la reine et ayant à sa droite Mme de Montespan. Il les retrouva de même au bal à Fontainebleau et à la revue de la maison du roi dans une plaine près de Saint-Germain ; il remarqua que, la pluie étant survenue, le roi, qui était arrivé avec un chapeau à plumes blanches bordé de dentelles d’or, le changea contre un chapeau noir uni, pour monter à cheval et passer devant le front des troupes avec la reine, en carrosse à huit chevaux.

Le véritable intérêt du journal de Locke est dans quelques réflexions générales qu’il y jette en passant comme elles lui viennent à l’esprit. Là, dans le voyageur on retrouve le philosophe, qui autrement ne se laisse guère reconnaître en écrivant quelque part sans réflexion que l’enseignement de la nouvelle philosophie de Descartes est prohibé dans les universités, écoles et académies (Montpellier, 22 mars 1676). Quelques-unes de ses notes de voyage se trouvent ainsi des dissertations qui ne dépareraient pas ses œuvres. Un morceau sur cette question : « Jusqu’à quel point la volonté agit-elle sur l’entendement ? » d’autres sur l’étude, sur les scrupules et les devoirs, sur l’immortalité de l’âme, sur l’espace, ressemblent à des fragmens de l’Essai sur l’Entendement humain. Je ne sais même si Locke ne s’y exprime pas avec plus de hardiesse que dans ses ouvrages imprimés, et s’il ne s’y fait pas mieux connaître dans la liberté de sa pensée.

Lorsqu’il revint à Londres, il trouva lord Shaftesbury et l’Angleterre elle-même dans une crise grave. La politique extérieure, la France secourue contre la Hollande, l’orgueil de Louis XIV à Nimègue, les espérances mal cachées des catholiques, tout avait irrité l’opinion, tout était grief contre la cour. La lutte ouverte entre les deux chambres avait amené, à la fin de 1675, une prorogation qui ajournait le parlement à quinze mois. Aussi, lorsqu’en février 1677 Buckingham entreprit de faire déclarer l’illégalité et la nullité d’une telle mesure, Shaftesbury le soutint-il avec vigueur, et il fut secondé par les lords Salisbury et Wharton. La chambre les déclara tous trois dignes de réprimande, s’ils ne demandaient pardon, et