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de ce terme, la princesse avait déjà conquis deux avantages inappréciables : elle était en mesure d’édifier par ses lettres M. de Torcy sur la portée de son esprit politique, et venait enfin d’être admise à correspondre directement avec Mme de Maintenon, honneur suprême qu’elle avait vainement sollicité, quoiqu’avec un art infini, aux derniers temps de sa résidence à Rome[1].

Le départ soudain de toutes ses femmes italiennes, provoqué par les soupçons qu’inspirait le duc de Savoie, avait un moment jeté la reine dans un état voisin du désespoir. Par des conseils dont un dévouement respectueux tempérait l’austérité, par une abnégation absolue d’elle-même, Mme des Ursins s’empara de ce cœur brisé et en pansa toutes les blessures. Elle fut une amie, une sœur, presque une mère pour l’exilée, et son influence ne profita pas moins des premiers embarras de l’union conjugale que de la passion effrénée qui ne tarda pas à placer sous le joug de sa femme un époux de dix-huit ans, chaste comme saint Louis avec le tempérament d’Henri IV. Afin de fortifier cet ascendant et de demeurer maîtresse exclusive d’une confiance dont le pouvoir était le prix, la princesse des Ursins ne reculait ni devant des fatigues à lasser les plus hardis courages, ni devant des services dont la nature aurait soulevé son orgueil, si ce n’avait été pour elle une même chose d’être et de gouverner[2]. Cette servitude dorée est décrite avec une complaisance spirituellement minutieuse dans les lettres à la maréchale de Noailles et au marquis de Torcy, et, malgré la commisération qu’elle y réclame, il est visible que Mme des Ursins entre dans les détails de son service domestique bien moins pour se faire plaindre à Versailles que pour s’y faire compter[3]. Un tel esclavage lui pèse peu, car, quoiqu’il fût conforme

  1. « Je me donne l’honneur d’écrire à Mme de Maintenon sur la mort de Mme de Montchevreuil, et je vous adresse ma lettre, madame, parce qu’elle vaudra quelque chose en passant par vos mains. Ce n’est qu’un simple compliment. J’ai eu besoin de vos conseils pour le hasarder, car je ne sais que trop le peu de temps que cette admirable personne a à donner à des choses aussi inutiles… Il suffirait qu’on sût dans ce pays qu’elle me trouve digne d’avoir un commerce réglé avec moi pour que le sacré-collége me regardât avec admiration. Jugez de ce qui arriverait si effectivement j’étois en possession de cet avantage ! Mme de Maintenon écrit d’une manière si noble et si spirituelle que je ne sais si ses lettres ne feraient pas encore plus de plaisir que d’honneur. » Lettre à la maréchale de Noailles, 12 décembre 1699. Recueil de M. Geffroy, p. 56.
  2. Saint-Simon.
  3. « Dans quel emploi, bon Dieu, m’avez-vous mise ? Je n’ai pas le moindre repos, et je ne trouve même pas le temps de parler à mon secrétaire. Il n’est plus question de me reposer après dîner, ni de manger quand j’ai faim. Je suis trop heureuse de pouvoir faire un mauvais dîner en courant, et encore est-il bien rare qu’on ne m’appelle pas dans le moment où je me mets à table. En vérité, Mme de Maintenon riroit bien si elle savoit tous les détails de ma charge. Dites-lui, je vous supplie, que c’est moi qui ai l’honneur de prendre la robe du roi d’Espagne lorsqu’il se met au lit, et de la lui donner avec ses pantoufles quand il se lève. Jusque-là je prendrais patience ; mais que tous les soirs, quand le roi entre chez la reine pour se coucher, le comte de Benavente me charge de l’épée de sa majesté, d’un pot de chambre et d’une lampe que je renverse ordinairement sur mes habits, cela est trop grotesque. Jamais le roi ne se lèveroit si je n’allois tirer son rideau, et ce seroit un sacrilège si un autre que moi entroit dans la chambre de la reine quand ils sont au lit. Dernièrement la lampe s’étoit éteinte parce que j’en avois répandu la moitié. Je ne savois où étoient les fenêtres ; je pensai me casser le cou contre la muraille, et nous fûmes, le roi d’Espagne et moi, près d’un quart d’heure à nous heurter en les cherchant. Sa majesté s’accommode si bien de moi qu’elle a quelquefois la bonté de m’appeler deux heures plus tôt que je ne voudrois me lever. La reine entre dans ces plaisanteries, mais cependant elle n’a pas encore attrapé la confiance qu’elle avoit aux femmes de chambre piémontaises ; j’en suis étonnée, car je la sers mieux qu’elles, et je suis sûre qu’elles ne lui laveroient point les pieds et qu’elles ne la déchausseroient point aussi promptement que je le fais. » A la maréchale de Noailles, décembre 1701. Recueil de M. Geffroy, p. 113.