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écrit dans l’intérêt de la maison d’Autriche, et non moins injurieux à Mme des Ursins, qu’au cardinal Porto-Carrero, chef du parti français en Espagne[1]. En se reportant au contraire aux nombreux témoignages donnés des deux côtés des Pyrénées par les acteurs ou les témoins des événemens, en joignant aux mémoires de M. de Torcy, du maréchal de Tessé et du marquis de San-Felipe un monument nouveau, mais d’une autorité peut-être plus décisive encore[2], il reste établi que Charles II consulta le pape sur le projet de testament favorable au duc d’Anjou peu de semaines seulement avant sa mort, et que, si cette consultation fut connue du cardinal de Janson, alors chargé des affaires de France à Rome, celui-ci n’exerça aucune action directe près du souverain pontife. Cette réserve était d’autant plus naturelle, que Louis XIV inclinait alors à l’exécution du second traité de partage passé avec les puissances maritimes, traité qui assurait, comme personne ne l’ignore, de grands avantages territoriaux au royaume. Si, après la mort du malheureux monarque, Louis XIV accepta le testament, rédigé à son propre préjudice en faveur de son petit-fils, ce fut pour ne pas tromper l’espoir d’un noble pays, et pour s’élever par sa générosité à la hauteur d’une telle confiance. Dans les conversations engagées à Rome à l’occasion de la succession d’Espagne, la princesse des Ursins put concourir à faire incliner vers les intérêts français le cardinal Porto-Carrero, devenu plus tard conseiller principal de Charles II ; mais là dut se borner son rôle effectif, et ce ne fut aucunement parce qu’elle avait contribué à Rome à mettre la couronne d’Espagne sur la tête de Philippe V, que M. de Torcy eut la pensée de l’envoyer à Madrid afin d’y compléter son ouvrage.

Je ne rencontre pas plus de preuves de l’action qu’aurait, selon M. Combes, exercée Mme des Ursins sur le mariage du nouveau roi avec la seconde fille du duc de Savoie. Que la princesse ait chaudement préconisé à Rome ce projet d’union, cela est probable ; Mme des Ursins savait fort bien quelle influence prépondérante exerçait à Versailles la sœur de Marie-Louise de Savoie, et pour être de l’avis de la duchesse de Bourgogne et de Mme de Maintenon, il ne fallait qu’une perspicacité fort inférieure à la sienne. Il n’était besoin pour cela ni de recevoir des dépêches de M. de Torcy, ni de lui en

  1. Histoire secrète de la Cour de Madrid. Cologne, 1719.
  2. « Charles II, sentant approcher sa fin, excité par le cardinal Porto-Carrero, ayant tour à tour consulté le conseil d’état, le conseil de Castille, les principaux membres du clergé et le pape, qui se prononcèrent tous dans le même sens à l’insu de la cour de France, qui n’y contribua ni par ses démarches ni par ses désirs, signa le 22 octobre 1700, cinq mois après le second traité de partage, le fameux testament par lequel il instituait le duc d’Anjou son légataire universel. » M. Mignet, Négociations relatives à la succession d’Espagne. Introduction, p. 76 et suiv.