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Pendant que le palais de la place Navone se couvrait de devises et de feux, pendant qu’il envoyait dans des flots d’harmonie le nom du roi de France à tous les échos de Rome, au fond de ses salons magnifiques on suivait avec inquiétude les péripéties de la longue lutte engagée entre ce prince et le saint-siège, soit pour le droit de régale, soit pour la question des franchises, lutte étrange qui semblait redoubler d’énergie à chaque violence nouvelle de Louis XIV contre ses sujets protestans. Aux questions ardues où la théologie côtoyait de si près les intérêts d’état, aux rivalités ardentes de doctrines et de personnes qui mettaient alors aux prises les plus illustres prélats de la chrétienté, venaient se joindre les accidens journaliers d’une politique à laquelle incombait la charge de maintenir sur tous les points du globe un équilibre constant entre la maison de France et celle d’Autriche, problème permanent que vinrent bientôt compliquer les perspectives ouvertes par la prochaine succession d’Espagne.

À cette école mûrissait, au milieu des plaisirs et des hommages, l’intelligence de la duchesse de Bracciano. Si par l’éclat des dissipations, la facilité des mœurs et une sorte de galanterie bruyante, sa vie semblait continuer les traditions du temps d’Anne d’Autriche, la fermeté soumise de sa pensée, son culte pour l’autorité absolue, la résolution arrêtée de ne rien devoir qu’à son roi, la rattachaient à la nouvelle école de pouvoir et de respect fondée par Louis XIV dans la plénitude de sa puissance. La passion des affaires et celle de l’importance ne tardèrent pas à dominer une femme qui n’avait trouvé dans son second mariage aucun accord de goût ni d’esprit. Prenant bientôt dans cette union des libertés dont on songea d’ailleurs peu à se plaindre, Mme de Bracciano entrecoupa son séjour en Italie de longs et fréquens voyages en France, venant y présenter, par un calcul habile, le spectacle d’une princesse romaine que personne ne dépassait à Versailles ni en esprit français, ni en dévouement pour son souverain. Les lettres adressées à la duchesse Lanti, sa sœur, qui sont comme un dernier écho des conversations de l’hôtel d’Albret[1], ont été pour la plupart écrites de Paris depuis 1685 jusqu’à 1698, date de la mort du duc de Bracciano. Une sorte de réconciliation, à laquelle paraît se rattacher le nom du cardinal Porto-Carrero, bientôt après destiné à un si grand rôle dans sa patrie, avait précédé cette mort, qui mit la duchesse en possession de biens réputés considérables, mais dont de grandes charges, aggravées par d’innombrables procès, firent une occasion de gêne et presque de ruine.

L’obligation d’acquitter des dettes immenses contraignit Mme de

  1. Recueil de M. Geffroy, pages 1 à 25.