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une partie de sa vie, qui sait que le cœur, comme la nature, a ses métamorphoses, et dont les regrets sont mitigés par une saine résignation ou même adoucis par une nouvelle espérance :

Vainement l’esprit mûr, l’aile à demi blessée,
Vers les bruns horizons emporte la pensée :…
On a toujours vingt ans dans quelque coin du cœur.

Que l’idéal nous emporte, mais ne nous égare point ! Il faut toujours revenir aux régions humaines. À quoi bon se perdre dans l’atmosphère immatérielle du mysticisme ? Telle est la pensée principale développée par le poète. Ce regret et cette tristesse sont bien loin du découragement ; au contraire, ils composent le terme moyen entre l’expérience pratique et cet horizon élevé que prête Lucrèce à la contemplation sereine de ses sages et de ses philosophes. Ainsi le dit lui-même M. Henri Cantel dans une de ses meilleures pièces, le Château de l’Ame.

Et puis de ce rêve sublime
Je redescends, jeune et plus fort,
Et sans peur d’être la victime
Ou de la vie ou de la mort.

M. Henri Cantel est un poète qui cherche assidûment la grâce. Il trouve même ses plus heureuses inspirations de forme et de couleur dans les délicates descriptions de la beauté, témoin le sonnet qui a pour titre Colles amoris. En somme, il y a là beaucoup d’élégance, de facilité, de charme ; mais, malgré ce que la forme a de vraiment poétique, elle ne révèle qu’incomplètement le poète. C’est l’originalité qui fait surtout défaut à ce recueil où se montre une indulgence trop grande pour certaines images et certaines métaphores, où se traînent quelques pièces molles et inutiles, comme des dialogues avec la Muse, qui évidemment ne sont point les plus récentes inspirations de M. Cantel ; il doit être toutefois permis de fonder sur ce jeune talent de sérieuses espérances.

La poésie contemporaine doit peut-être une de ses principales causes de faiblesse à la recherche presque exclusive des petites pièces et des cadres restreints. On fait des vers, on ne fait plus de poèmes. En bornant ainsi leur inspiration, les jeunes écrivains ne donnent raison qu’à leur paresse, et s’affranchissent trop gratuitement des difficultés de la composition. Sans revenir à l’épopée, que n’admettent plus nos mœurs et notre intelligence critique, il serait désirable cependant qu’on donnât aux essais poétiques une étendue plus considérable. La langue y gagnerait : ce ne serait plus seulement l’éclat fugitif d’une idée rare ou d’une comparaison brillante enchâssée dans un cadre étroit, ce serait le développement d’une situation ou même l’analyse d’un caractère dans une composition dont un rhythme ambitieux ou bizarre n’aurait pas besoin de faire le succès. Le Dernier Amour[1], par M. Alfred de Tanouarn, est une des plus heureuses tentatives qui se soient récemment produites en ce genre. Le philosophe joue évidemment ici le premier rôle, et semble ne s’être servi du langage poétique que pour traduire

  1. 1 vol. in-12 ; Dentu.