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libéralisme sincère, efficace et pratique. L’on ne voit pas en outre qu’il soit possible de donner à l’activité du pays quelque aliment qui puisse distraire les intelligences qui en sont pour ainsi dire le cerveau des nobles et pressans intérêts de la politique. Il n’y a plus de campagne industrielle comme celle de 1852 ; ces choses-là ne se rencontrent pas deux fois en un siècle : l’on ne trouve pas deux fois de suite tout un réseau de chemins de fer à remanier, des concessions dont il soit possible de doubler la durée, des institutions prestigieuses de crédit à fonder. Ce n’est pas certes que dans le domaine des intérêts matériels il ne reste encore à la France de grandes richesses à féconder. Le jour, par exemple, où la France réalisera chez elle la liberté commerciale, le jour où elle aura un sir Robert Peel, elle prendra industriellement et commercialement un essor plus brillant encore, plus sain et plus durable que celui de 1852, sans que l’état ait à donner à l’esprit d’entreprise aucun encouragement artificiel. Mais, dans la sphère des intérêts matériels, ce qu’il y a désormais à tenter ne peut plus s’accomplir que par la discussion. De même, ces grandes questions extérieures qui agitent en ce moment l’Europe, ce mouvement italien qui se poursuit au milieu de tant de difficultés et d’incertitudes, ces rapports de peuple à peuple qu’il faut faire rentrer dans des voies régulières, ces problèmes, en un mot, qui mettent en question pour la France et pour le monde la paix ou la guerre, et qui touchent à l’intérêt patriotique de tous et aux intérêts particuliers de chacun, tout cela réclame cette abondance d’informations, cette surveillance éclairée et zélée, cette variété d’appréciations et ces verdicts d’opinion que la liberté de discussion peut seule fournir. Si l’on observe et si l’on juge avec sang-froid les circonstances où nous sommes et les tendances des esprits, on ne trouvera pas, nous en sommes convaincus, qu’il soit chimérique de penser que la liberté de la presse sera regardée avant peu comme un besoin réel, comme une nécessité inévitable de notre vie publique.

C’est la manifestation, suivant nous facile, de ce besoin que nous appelons la conquête de la liberté de la presse. Le gouvernement, nous l’avons dit, peut la devancer ou l’attendre. Supposons qu’il adopte le système expectant, et, — ce qui est toujours permis à un gouvernement, ce qui souvent n’est même de sa part qu’un acte de sagesse, — qu’il laisse aux citoyens la tâche de tirer eux-mêmes des institutions existantes les progrès qu’elles comportent : la marche légale à suivre est toute tracée. Nous ne parlerons que de la presse périodique. Pour rentrer dans le droit commun, la presse a trois conditions à obtenir : définition des délits de presse et des peines correspondantes à ces délits, jugement par les tribunaux ordinaires, faculté pour tous les citoyens de fonder des journaux en présentant les garanties exigées par la loi. Ces trois conditions correspondent aux dispositions qui, dans le régime existant, paralysent la presse. Ces dispositions laissent en effet à l’autorité administrative le droit de motiver et d’appliquer des avertissemens, c’est-à-dire de définir elle-même, et après coup, un délit ignoré par l’écrivain, et d’appliquer à ce délit une pénalité excessive, puisqu’elle peut aller jusqu’à l’anéantissement d’une propriété. En outre, elles subordonnent la création d’un journal à l’assentiment du ministre de l’intérieur, et transforment par conséquent en un privilège la publication d’une