Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi de Sardaigne, placé entre la France et l’Autriche, tenait la balance des affaires d’Italie selon qu’il se jetait d’un côté ou de l’autre : il était recherché de tous les côtés, au premier éclat de toutes les guerres ; l’Angleterre lui donnait des subsides, le défendait, l’agrandissait par des raisons d’équilibre européen. Mais, les Bourbons étant à la fois sur les Alpes et sur le Pô, vers qui le roi de Sardaigne pourrait-il se tourner ? D’où attendrait-il des secours et le salut ?… » Toutes les communications de la cour de Turin s’inspirent de ces idées. Ce n’est pas sans doute par un sentiment chevaleresque de fidélité à ses alliés que Charles-Emmanuel III refusa de signer une paix séparée avec la France, c’est parce qu’il ne voyait pas son intérêt dans les projets qu’on lui offrait. Et voilà comment la guerre, un moment suspendue par ces négociations secrètes, recommença de nouveau.

Ce que la France poursuivait d’ailleurs dans cette guerre considérée au point de vue des intérêts de sa propre politique, on ne saurait le dire. Elle n’avait aucun motif sérieux de s’obstiner dans une lutte inutilement sanglante qui, même en étant heureuse, ne pouvait rien donner au pays. Le stimulant des conquêtes lui manquait entièrement, car elle savait que tout ce qu’elle prendrait dans les Pays-Bas, elle le rendrait à la paix. Elle n’avait plus à soutenir ce fantôme d’empereur qu’elle avait un moment opposé à Marie-Thérèse : cet empereur était mort. Était-ce pour assurer l’établissement du second fils d’Elisabeth Farnèse, de don Philippe, à Parme et à Plaisance, qu’elle continuait à combattre ? Le motif eût été trop léger. La France, à vrai dire, subissait toutes les conséquences de la situation fausse qu’elle s’était faite en entrant dans cette guerre par un futile et imprévoyant caprice dont le roi de Prusse avait seul profité habilement, et par le fait, après plus de six ans de combats, la guerre finissait de lassitude, d’épuisement et sans résultat, par ce traité d’Aix-la-Chapelle que M. de Carné appelle un traité utile, mais peu brillant, et qui n’excita nullement l’enthousiasme de la nation. La cour pallia le résultat en vantant la modération du monarque qui rendait la paix au monde. On faisait, disait-on, la paix « en roi, point en marchand. » Les poètes chantèrent la renaissance de l’âge d’or, les disciples de Quesnay prophétisèrent l’élévation du produit net, et de ses belles mains qui chiffonnaient la politique de la France, Mme de Pompadour gravait sur l’onyx l’image de Louis XV répudiant du haut d’un char de triomphe les attributs de Mars pour saisir ceux de Thémis. Ainsi marchaient les choses. Dans la guerre de la succession d’Autriche, on s’alliait avec Frédéric II de Prusse contre Marie-Thérèse ; quelques années plus tard, on s’alliait avec l’Autriche pour combattre le roi de Prusse,