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avait même envahi la Sicile, enlevée en 1718 à la maison de Savoie par un de ces traités qui ne laissent aux faibles que le droit de se taire et d’attendre une revanche de la fortune. La vraie difficulté était de mener au combat, contre l’ennemi commun, des ambitions contradictoires comme celles du Piémont et de la reine d’Espagne. Le cardinal de Fleury fit des prodiges de diplomatie, multipliant les promesses sans ménager les réticences, excitant le Piémont sans décourager la souveraine espagnole dans ses ambitions. De là le traité de Turin, placé sous les auspices de cette déclaration qui aurait pu aussi bien servir de prologue aux combinaisons d’où est sortie la dernière guerre : « L’univers entier sait comment la maison d’Autriche abuse depuis longtemps de l’excessive puissance à laquelle elle est parvenue et comment elle cherche sans cesse à s’agrandir aux dépens d’autrui. Non contente d’agir secrètement, elle ne connaît plus de mesure, allant jusqu’à vouloir disposer, selon son bon plaisir, d’états sur lesquels elle n’a pas le moindre droit… » Ainsi parlaient la France et le Piémont en 1733.

Cela dit, l’exclusion de la maison d’Autriche de toute l’Italie devenait l’objet secret et définitif de l’alliance. Le Milanais tout entier reviendrait au roi de Sardaigne ; Naples et la Sicile appartiendraient à l’infant don Carlos, fils d’Elisabeth Farnèse, de cette reine à l’infatigable ambition, qui déjà songeait à un autre établissement pour le second de ses fils, l’infant don Philippe. C’était une distribution complète de tous les états italiens, sauf le duché de Mantoue, dont on ne parlait pas, et qui restait disponible. En entrant dans cette alliance, conclue le 26 septembre 1733, Charles-Emmanuel III cédait sans doute à la tentation héréditaire du Milanais ; il voyait qu’il avait tout à gagner à se lier avec la France en ce moment, mais en outre il était entraîné par cet instinct d’un prince jeune, né d’une race toute militaire, et agité du désir de se populariser à son tour. Il voulait s’essayer à son métier de roi et de soldat, et puis peut-être au fond sentait-il le besoin inavoué de chasser par la guerre un souvenir importun qui lui revenait comme un remords, le souvenir de ce duel intime et sombre qu’il avait eu à soutenir contre son père Victor-Amédée II au moment où celui-ci avait voulu rétracter son abdication. Le marquis d’Ormea lui-même, le premier ministre de Charles-Emmanuel III, avec son habileté hardie, voulait illustrer son passage au pouvoir par quelque grande entreprise.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que cette négociation se suivait en quelque sorte sous les yeux de l’Autriche, représentée à Turin par le comte Filippi, homme honnête, au dire du Vénitien Foscarini, mais d’une médiocre portée d’esprit, et plus accoutumé à vivre dans les armées qu’au milieu des affaires d’état. Le comte Filippi avait parfois des craintes, et il courait aussitôt vers le marquis