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divers points parurent ; les contenter, et ils se décidèrent à se soumettre sans conditions à l’autorité fédérale.

Pendant ce temps, l’armée quittait ses quartiers d’hiver. Le 13 juin elle s’engageait dans les pittoresques vallées qui séparent Fort-Bridger du Grand-Bassin. Trois jours auparavant, il neigeait encore, ce qui peut donner une idée du climat singulier de cette partie du continent américain. Les montagnes étaient encore couvertes çà et là de neige, les torrens étaient démesurément gonflés, et l’armée, obligée de jeter des ponts, n’avançait que très lentement à travers les montagnes, avec sa longue tramée de bagages. Elle aperçut en passant les grossières fortifications que l’année auparavant les mormons avaient élevées dans le cañon de l’Écho, et ne déboucha que le 26 juin dans la vallée du grand Lac-Salé. Elle défila à travers la ville déserte, campa sur les bords du Jourdain, et peu de jours après s’établit définitivement dans la vallée du Cèdre, qui s’ouvre, à peu près à égale distance du grand Lac-Salé et de Provo, où les mormons s’étaient réunis. Quand les fugitifs surent que les régimens américains ne prenaient pas leur campement dans la ville, ils se sentirent peu à peu rassurés. Aucune violence n’était commise contre leurs personnes ni contre leurs propriétés ; les familles retournèrent, les unes après les autres, dans les villes qu’elles avaient abandonnées. Les marchands qui suivaient l’armée entrèrent en rapports avec les mormons, leur vendirent les marchandises dont ceux-ci se trouvaient depuis si longtemps privés, et leur achetèrent en retour du blé et des bestiaux. Pour la première fois peut-être le peuple osa murmurer ouvertement contre ses chefs, quand les marchands américains refusèrent d’accepter le papier-monnaie créé par Young. Jamais situation ne fut aussi singulière ni aussi critique, l’armée se sentait humiliée de l’inaction où le gouvernement l’avait condamnée. De leur côté, les chefs mormons comprenaient que le voisinage, d’un grand nombre d’hommes qui méprisaient la religion dont ils étaient les grands-prêtres, l’établissement de rapports réguliers avec les États-Unis, la présence des autorités fédérales, minaient lentement leur autorité, jusqu’alors absolue.

Le gouverneur Cumming espérait, par son système de temporisation, user le fanatisme religieux de la secte, et mettre fin sans effusion de sang au scandaleux spectacle que le mormonisme, donnait à la confédération. Les juges fédéraux, tout pénétrés de l’esprit rigoriste que donne l’habitude de faire exécuter les lois, soutiraient impatiemment les obstacles que les apôtres mormons opposaient à l’exercice de la législation territoriale. Ils étaient irrités de ne pouvoir constituer des jurys indépendans, de voir les lois américaines violées par les dispositions particulières qu’avait adoptées