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gorge, placée sur la route ordinaire d’Utah, que de faire un détour de 150 milles environ vers le nord, et de pénétrer dans le Grand-Bassin par la vallée de la Rivière-aux-Ours [Bear River), le principal tributaire du grand Lac-Salé. Encouragé par les dispositions prises, Brigham Young eut l’insolence de dépêcher au commandant américain un envoyé qui lui proposa de mettre bas les armes, lui promettant que, sous cette condition, les troupes américaines seraient nourries tout l’hiver dans les villages mormons et renvoyées aux États-Unis dès le printemps. Une pareille proposition fut repoussée comme elle devait l’être, et, après avoir tenu un conseil de guerre, le colonel Alexander se décida à marcher vers le nord pour pénétrer dans les vallées septentrionales ouvertes sur le Grand-Bassin. Menacé sur son flanc gauche et ses derrières par les maraudeurs mormons, dont le quartier-général était établi au fort Bridger, qui commande l’entrée des défilés de la chaîne Wahsatch, il se dirigea néanmoins vers la Rivière-aux-Ours. Le 13 octobre, l’armée en marche perdit huit cents bœufs, que les mormons emmenèrent dans leurs vallées. La neige commençait à tomber, et le colonel Alexander n’avançait qu’avec une extrême lenteur quand il reçut de nouveaux ordres, et se trouva déchargé de la lourde responsabilité du commandement.

À la place du général Harney, qui n’avait pas voulu se décider à quitter le Kansas, le colonel Johnston venait se mettre à la tête de l’armée : il n’avait avec lui qu’une faible escorte de dragons, et, jugeant que la saison était trop avancée pour franchir les montagnes, il se décida à prendre son quartier d’hiver au fort Bridger. Le retour de l’armée fut un véritable désastre : le froid était si intense que dans une seule nuit on perdit cinq cents mulets. Les mormons parvinrent encore à enlever cinq cents bœufs, et, faute d’animaux de train suffisans, l’on dut se résoudre à abandonner une partie des bagages. On arriva enfin au fort Bridger ; quatre jours après, le colonel Cooke y amena le régiment de dragons qui avait dû dès le début faire partie de l’expédition, et dont l’absence avait été si regrettable. Ce régiment, arrivant du Kansas, était dans un état pitoyable ; il avait franchi les Montagnes-Rocheuses, à travers les neiges ; plus d’un tiers des chevaux avait péri, et il avait fallu jeter une bonne partie des bagages. Le régiment était accompagné par le nouveau gouverneur désigné pour Utah, M. Cumming ; le juge fédéral, M. Eckels, avait rejoint directement l’armée de son côté, ainsi que M. Hurt, le seul des anciens fonctionnaires fédéraux qui fût demeuré jusqu’alors sur le territoire mormon. Ce dernier était l’agent indien des États-Unis : on nomme ainsi le fonctionnaire chargé des rapports avec les tribus errantes qui sont encore éparses dans la vaste vallée