Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE MARIAGE DE ROLAND.


Ils se battent, — combat terrible! — corps à corps,
Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts;
Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône.
Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d’herbe dans l’eau.
L’archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre ;
Déjà, bien avant l’aube, ils combattaient dans l’ombre.
Qui, cette nuit, eût vu s’habiller ces barons.
Avant que la visière eût dérobé leurs fronts.
Eût vu deux pages blonds, roses comme des filles.
Hier, c’étaient deux enfans riant à leurs familles.
Beaux, charmans; — aujourd’hui, sur ce fatal terrain,
C’est le duel effrayant de deux spectres d’airain.
Deux fantômes auxquels le démon prête une âme.
Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme.
Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnés.
Les bateliers pensifs qui les ont amenés
Ont raison d’avoir peur et de fuir dans la plaine.
Et d’oser, de bien loin, les épier à peine.
Car de ces deux enfans, qu’on regarde en tremblant,
L’un s’appelle Olivier et l’autre a nom Roland.

Et depuis qu’ils sont là, sombres, ardens, farouches,
Un mot n’est pas encor sorti de ces deux bouches.

Olivier, sieur de Vienne et comte souverain,
A pour père Gérard et pour aïeul Garin.
Il fut pour ce combat habillé par son père.
Sur sa targe est sculpté Bacchus faisant la guerre
Aux Normands, Rollon ivre et Rouen consterné,
Et le dieu souriant, par des tigres traîné.
Chassant, buveur de vin, tous ces buveurs de cidre.
Son casque est enfoui sous les ailes d’une hydre;
Il porte le haubert que portait Salomon;
Son estoc resplendit comme l’œil du démon;
Il y grava son nom afin qu’on s’en souvienne;