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REGNARD
SA VIE ET SES OEUVRES[1]



En 1622 et en 1655, à trente-trois ans d’intervalle, deux enfans naissaient à Paris, au quartier des Halles, dans deux maisons presque voisines. Leur condition, sinon leur fortune, était égale : l’un fils d’un tapissier, l’autre d’un marchand de salines ; mais bientôt que de différences dans leur destinée ! L’un est riche, l’autre est pauvre ; tous deux voyagent de bonne heure : celui-ci, menant le train d’un grand seigneur, ne s’arrête que là où la terre lui manque ; celui-là, sous un nom d’emprunt, chef d’une troupe de comédiens ambulans, traîne pendant douze ans, à travers la France, l’existence nomade des héros de Scarron. Tous deux rentrent à Paris, l’un pour se ménager tour à tour les plaisirs de la ville et de la campagne voisine, l’autre pour continuer le dur métier qu’il aime. Fatigué des caprices de son cœur et de ses affections errantes, l’un arrête sa vie de jeunesse dans un imprudent mariage ; l’autre poursuit la sienne dans un joyeux célibat. Le travail d’esprit n’est à celui-ci que le délassement du plaisir ; à celui-là, ce n’est pas seulement le besoin de son génie, c’est aussi le fardeau généreusement porté pour les autres, en même temps que la consolation de ses propres misères. La vie n’est pour l’un qu’une fête perpétuelle, embellie par de faciles et rapides succès ; pour l’autre, c’est un combat de tous les jours, et un long effort d’adresse en même temps

  1. Cette étude a obtenu le prix d'éloquence par l'Académie Française dans sa séance publique annuelle du 25 octobre 1859.