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Judd vient d’être renversé. C’est un coup terrible porté à la puissance des missionnaires hérétiques ; on leur fait une guerre ouverte, et ce sont leurs compatriotes qui travaillent ouvertement à les chasser du gouvernement. La destitution de M. Armstrong, ministre de l’instruction publique et le plus grand ennemi de l’église romaine, a été l’objet de pétitions solennelles. » On le voit, derrière l’assemblée représentative, il y a les ministres et les missionnaires, et c’est à leur instigation et à leur profit que s’engagent ces luttes ministérielles que raconte avec passion le journal the Polynesian, organe officiel du gouvernement.

Après avoir témoigné pour le christianisme une longue indifférence, Kamehameha III semblait incliner fortement vers les protestans, et à plusieurs reprises il leur avait donné des témoignages non équivoques de bonne volonté quand il est mort en décembre 1854. Son neveu Liholiho lui a succédé sous le nom de Kamehameha IV. C’est, d’après le rapport des missionnaires évangélistes, un homme intelligent, qui a reçu une éducation libérale et voyagé aux États-Unis et même en Angleterre. Aucun acte important n’est venu encore signaler de quel côté il place ses préférences. L’attention durant ces dernières années s’est moins portée sur la conduite du gouvernement que sur les désastres qui ont affligé l’archipel. D’abord est venue la petite vérole, qui en moins de deux mois, dans le seul district d’Honolulu, a fait plus de trois mille victimes. Une maladie particulière ne cesse de frapper un grand nombre de femmes en couches et les tue avec leurs enfans ; les angines, la rougeole font de continuelles victimes, si bien que la population décroît d’année en année avec une effrayante rapidité : on l’évaluait à 300,000 âmes au temps de Cook, à 150,000 il y a quarante ans ; en 1850, elle n’était plus que de 78,000, et le recensement qui a suivi l’avènement de Kamehameha IV ne l’a plus trouvée que de 71,000. À ces désastres d’autres fléaux viennent s’ajouter. Des volcans en éruption permanente versent des torrens de lave qui débordent dans la campagne, rasent les forêts, détruisent tout sur leur passage jusqu’à la mer. La terrible Pelé, déesse qui habite ces profondeurs souterraines, gronde de ne plus recevoir ses offrandes de victimes humaines dans son lac de feu. Les indigènes appellent ainsi un cratère de trois lieues de circonférence où la lave bouillonne toujours, et ceux d’entre eux qui, ouvertement ou dans le fond de leur cœur, sont restés attachés aux anciennes superstitions disent que les temps sont venus où, suivant d’antiques prédictions polynésiennes, les terres seront bouleversées, l’hibiscus et le corail s’étendront, et l’homme disparaîtra des îles.

Dans ces circonstances et au milieu de ces désastres, les mormons,