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commode et assez coquette, c’est la résidence de sa majesté la reine Pomaré, qui, selon son caprice, habite en ce lieu ou à quelque distance dans l’est, à sa hutte indigène de Papaoa. Papeete offre quelques cabarets pour les hommes du port et les matelots et quelques restaurans, mais pas un hôtel comfortable ; cette circonstance et le permis de séjour exigé des étrangers de passage dans la ville sont un sujet de plainte unanime pour les visiteurs anglais et américains.

Au costume européen se mêlent dans la petite ville la chemise indigène et le pareu, sorte de toge de couleur éclatante que les Taïtiens jettent sur leurs épaules et ramènent en plis élégans sur le côté gauche. Avec les belles formes et la taille élevée de la plupart d’entre eux, ce vêtement leur sied à merveille, tandis que ceux qui ont eu la fâcheuse idée de revêtir des habits européens sont gênés et maladroits. Il est d’usage d’aller vers le soir respirer sur le rivage les douces brises de la mer ; voici comment un voyageur américain, M. Ed. Perkins, qui visitait Papeete en 1854, décrit cette promenade : « La chemise et le pareu constituent pour les indigènes le costume général ; quelquefois même le royal époux de Pomaré daigne descendre et se promener par les rues, pieds nus, les reins couverts de deux mètres d’imprimé de Merrimack, par-dessus lesquels flottent les plis de sa tunique indigène. La parure des femmes varie selon la libéralité de leurs admirateurs : quelques-unes d’entre elles déploient un luxe dispendieux de soieries ; on les voit marcher légèrement le long de Broom-Road avec leurs beaux cheveux noirs parfumés des senteurs du manoe et ornés des fleurs blanches du jasmin du Cap, qui tombent négligemment le long de leurs tresses lustrées. Le soir, sur le rivage, se rencontre l’assemblage le plus pittoresque et le plus varié qu’on puisse imaginer : ce sont des marins, des employés, des soldats aux uniformes de toutes couleurs qui se promènent bras dessus, bras dessous, avec les nymphes taïtiennes. Cependant huit heures viennent de sonner, ajoute le visiteur américain, une cloche retentit : il faut que les indigènes rentrent dans leurs habitations ; quant à l’étranger qui n’a pas la caution ou le permis de séjour, il court grand risque d’être arrêté. »

Taïti n’a pas changé en apparence : ce sont toujours ces vigoureux indigènes, les plus beaux de la race polynésienne, qu’admiraient les premiers navigateurs, ce sont aussi ces femmes gracieuses, au parler facile et doux, insouciantes, paresseuses, se parant de fleurs, ne cherchant que le plaisir ; mais, hélas ! aux habitans de cette île vraiment fortunée les Européens ont apporté bien des vices et bien des misères. Des neuf mille indigènes de Taïti, il n’y en a presque aucun qui ne garde des restes ou des traces de maladies venues d’Europe, et tous recherchent avec passion les spiritueux,