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établissement a été posée, et peut-être n’apprendra-t-on pas sans intérêt ce qu’est en ce moment cette ville encore embryonique que la France essaie de bâtir dans la Polynésie, à 22 degrés par-delà l’équateur. À l’entrée d’une baie large et bien abritée, bordée par un terrain montueux, et derrière une presqu’île étroite, s’ouvre un port bien disposé, sûr, accessible, facile à défendre. Le terrain qui le borde forme une sorte d’hémicycle enveloppé par des montagnes qui s’étagent en amphithéâtre. C’est l’emplacement sur lequel s’élève Port-de-France ; il a l’inconvénient de n’être pas arrosé : le ruisseau le plus proche est à six milles, on pourra le détourner plus tard, mais pour le moment il faut creuser des puits très profonds. Sur la falaise, qui borde la presqu’île s’allonge un bâtiment, sorte de caserne pouvant contenir une centaine de soldats ; au sommet flotte notre drapeau. À peu de distance sont éparses cinq ou six maisons, parmi lesquelles celle du gouvernement, entourée d’un grand jardin, où se font quelques essais d’acclimatation et de culture.

Il y a loin de ce morne établissement aux villes anglo-saxonnes dans la même période de leur existence. Le mouvement, la vie, les espérances d’avenir que nous a montrés Auckland ne se retrouvent pas ici ; en revanche, ce qui dans les colonies anglaises ne peut pas exister commence à naître sur ce littoral peu fréquenté, c’est une ville indigène. Depuis 1855, les missionnaires persécutés par Buaraté, Philippe et d’autres chefs, que le départ des bâtimens français avait délivrés de leurs appréhensions, sont venus élever sous la protection de Port-de-France un établissement appelé La Conception, dont ils ont fait, ainsi que de Pouebo, sur l’autre côte, le centre de leurs travaux. Là, à trois lieues de Port-de-France, près de la mer et sur une colline qui longe le rivage, ils ont groupé autour d’eux quelques centaines d’indigènes. La petite ville calédonienne a été divisée en trois quartiers, suivant le nombre des tribus qui ont concouru à l’élever, et il ne faut pas croire qu’elle se compose uniquement de huttes et de cases : quelques sauvages, guidés par leurs directeurs européens, se sont mis à bâtir des maisons recouvertes d’ardoises, produit que l’île fournit abondamment, blanchies à la chaux, et entourées de jardins et de cultures. C’est un spectacle curieux et fort nouveau que celui de ces hommes piochant la terre, surveillant leurs plantations, vaquant aux soins de leur ménage, traitant leurs femmes presque en égales, se groupant en familles industrieuses et régulières, et n’ayant plus besoin d’assouvir leur faim, faute d’alimens, avec de la chair humaine. On les voit recouverts d’une sorte de pagne ou de chemise, une médaille ou un chapelet au cou ; leur visage farouche s’adoucit quand ils échangent entre eux, avec les mots de père et de frère, de cordiales poignées de main. Une église assez spacieuse en briques et