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la prédominance de l’autorité temporelle a été longtemps regardée comme une liberté religieuse. La ressource n’est pas sûre cependant contre l’oppression, et les gouvernemens ne justifient pas toujours la confiance que les gens raisonnables ont mise en eux. Ainsi le roi Charles II, mû par une secrète faveur pour les catholiques plutôt que par le respect des droits de la conscience, semblait d’abord promettre à tous les cultes un système de compréhension, c’est-à-dire de fusion et de concorde, si longtemps cherché vainement par les hommes d’état et les philosophes, et Locke se proposait d’y amener tout le parti de la basse église ; il ne voyait pas que l’orgueil et l’exigence de la haute église étaient à la veille de faire peser, grâce aux faiblesses du pouvoir civil, un joug étroit sur toutes les croyances dissidentes, et que le danger ne venait plus du côté des puritains ou des indépendans. Apparemment il s’en aperçut à temps, car son ouvrage ne fut pas publié.

Il quitta Oxford pour la première fois, et parut disposé à renoncer à toutes fonctions académiques, lorsqu’en 1664 il suivit comme secrétaire sir Walter Swan dans sa mission auprès de l’électeur de Brandebourg et d’autres cours germaniques. On a conservé quelques-unes des lettres qu’il écrivit durant son voyage. Elles ne manquent pas d’agrément, et partent d’un esprit enjoué, libre de préjugés, et qui se moque avant toutes choses des controverses de la scolastique. À son retour en Angleterre, il fut au moment de se laisser attacher à l’ambassade d’Espagne, puis il eut à délibérer sur l’offre d’un bénéfice considérable en Irlande ; mais il aurait fallu s’engager dans les ordres, et, n’ayant pas la certitude de se distinguer dans le ministère sacré, il ne voulait point d’une carrière où l’on entre sans retour, et où il lui eût répugné d’occuper un rang médiocre. Sa santé n’était pas robuste : son frère était mort de la poitrine ; la sienne était délicate et semblait lui interdire la prédication. Il avait pour les querelles de sectes et les disputes des docteurs ce profond dédain ordinaire aux hommes qui fondent le savoir sur l’observation. De toutes les professions dont il s’approcha sans les embrasser, la médecine demeurait celle dont il était le plus tenté. Il rentra à Christ Church, où sa qualité d’étudiant titulaire lui donnait les moyens de vivre modestement, et se plongea avec plus d’ardeur dans les recherches de physique. On voit même dans l’Histoire générale de l’air par Boyle que Locke seconda ses expériences par des observations longtemps continuées sur les variations de l’atmosphère. Les tables qu’il en avait dressées à partir de 1666 sont insérées dans ce livre, et il en fit encore de nouvelles, qui furent longtemps après imprimées dans les Transactions philosophiques.

Il vivait avec d’anciens compagnons d’études dont il appréciait