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volante au centre, et vint se ranger en bataille devant la principale habitation de Buaraté. Sur un petit plateau couvert à une de ses extrémités par des arbres de diverses essences tropicales s’élevait une grande case calédonienne, sorte de cône dressé sur un cylindre haut de quatre pieds, avec une porte basse et étroite sur le devant, et au sommet du toit conique une sculpture grossière cherchant à représenter une forme humaine ; à droite et à gauche étaient bâties. d’autres cases, destinées aux femmes et aux étrangers ; au-devant du plateau, sur un petit tertre ovale, sept poteaux se dressaient, habituellement surmontés de crânes humains, mais le commandant français avait exigé que ces hideux trophées disparussent pour sa visite : telle était la demeure du chef Buaraté. Les principaux de la tribu, au nombre de cent cinquante ou deux cents, étaient groupés devant la case centrale ; ils étaient diversement armés et tous nus, à l’exception de Buaraté, qui se drapait dans une chemise de laine bleue. D’autres groupes de guerriers se tenaient à quelque distance, et les femmes et les enfans, le long des cases et derrière les arbres, regardaient avec curiosité. Les artilleurs et les matelots en grande tenue opérèrent diverses évolutions ; un pavillon français fut arboré, salué de vingt et un coups d’obusier, et remis à Buaraté en signe de sa nationalité nouvelle. Le commandant profita de l’impression produite par cet imposant cérémonial pour engager la tribu à ne plus se livrer à l’anthropophagie, représentant cette coutume comme la plus honteuse et la plus exécrée des hommes civilisés ; puis il interdit à Buaraté de rendre désormais la justice à coups de hache ; enfin, pour adoucir l’amertume de ces nouvelles obligations, il distribua quelques armes, quelques ustensiles, et invita le chef à s’asseoir avec lui et ses officiers devant un mouton cuit tout entier à la façon calédonienne. De leur côté, les soldats prirent leur repas, et la foule, débordant à ce moment, se pressa autour d’eux, se précipitant sur les os, sur le biscuit, sur les moindres débris qui lui étaient jetés.

La démonstration militaire du commandant français eut un plein effet : à partir de ce moment, Buaraté se tint tranquille, les autres chefs suivirent son exemple, et nos bâtimens, franchissant les deux roches bizarres que l’on appelle Tours-Notre-Dame, parce qu’à distance elles rappellent ce monument par la forme et par la hauteur, quittèrent Hienguene, et purent vaquer paisiblement à la recherche de l’endroit où ils devaient élever l’établissement principal de la colonie. Ils visitèrent la magnifique baie de Kanala, où un chef, nommé Kaï, monta à bord sans difficulté, tout fier d’une chemise, d’un pantalon, d’une casquette et d’un vieux sabre, qui lui composaient un costume magnifique selon lui. Puis ils doublèrent