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terre, construire des postes et des habitations pour nos soldats et nos employés, traiter avec les indigènes et leur faire accepter notre protectorat, telle était la mission de l’officier français. À Balade, où les deux puissantes tribus de Pouma et de Pompo subissaient complètement l’influence des missionnaires, la tâche ne fut pas difficile. Un chef qui, en acceptant le baptême, avait échangé son nom barbare de Bouhoné contre celui de Philippe se prêta assez volontiers, moyennant quelques menus cadeaux, à ce qu’on exigeait de lui : il fit des concessions de territoire, et accepta même la promulgation d’une espèce de code qui cependant le dépouillait d’un de ses principaux privilèges, celui de rendre la justice à coups de casse-tête. Désormais il devait graduer la peine selon la gravité des délits et recourir en certains cas à la juridiction française. Le commandant français eut en outre l’ingénieuse idée d’intéresser les sauvages eux-mêmes à la répression des délits et de les charger de l’arrestation des coupables. Il organisa au milieu d’eux un corps de surveillans, payés avec du tabac et ornés d’un brassard aux couleurs françaises. Il fallait voir comme ils étaient fiers de leurs fonctions et empressés de signaler les moindres délits. La mesure eut un excellent effet. Quant au chef Philippe, c’était un sauvage peu intelligent, brutal, et en qui il n’était pas trop sûr de se fier. On l’avait vu en 1850 parmi les plus acharnés contre les missionnaires, et du pillage de ce temps il conservait, malgré sa conversion récente, une magnifique soutane dont il aimait à se parer toutes les fois qu’un navire passait en vue du rivage.

Après avoir consolidé et bien armé le fort de Balade, la Constantine se transporta plus au sud, en un lieu appelé Pouebo, sur le territoire de la tribu des Monelibé. Là, le paysage est plus agréable et plus animé : ce ne sont plus des rochers nus et des crêtes dévastées ; les hautes terres y prennent un aspect riant et fertile. De leurs sommets au bord de la mer s’étend une forte végétation, et une jolie rivière, que les canots peuvent remonter durant plusieurs kilomètres, se détache des montagnes, se précipite en cascades, puis serpente dans la plaine. En ce lieu, il y a, comme à Balade, une mission qui, après avoir subi les mêmes vicissitudes, s’était vue expulsée, puis rappelée par les indigènes mêmes. Un des principaux chefs, en se faisant chrétien, avait pris le nom d’Hippolyte ; il servait très efficacement les missionnaires, et balançait par son autorité l’influence d’un autre chef, du nom de Tarebate, qui refusait d’accepter le christianisme, parce qu’il aurait été obligé de renvoyer trois de ses quatre femmes.

À peine la Constantine avait-elle pris place au mouillage de Pouebo, que le chef Hippolyte s’en vint, à l’instigation des missionnaires,