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mystérieuses combinaisons de l’avenir, nous pouvons dès à présent nous considérer comme placés au seuil d’une période historique dans laquelle de nombreux élémens longtemps épars vont concourir à l’accomplissement d’une œuvre commune. C’est d’ailleurs la marche que le passé assigne à l’histoire : il nous montre les sociétés s’agrandissant toujours et faisant entrer constamment de nouveaux acteurs dans leur sphère élargie. Que ce changement soit une amélioration et que la civilisation y gagne en qualité, c’est un point discutable, et qui, malgré nos innovations et nos découvertes, peut bien être résolu négativement, lorsque nous envisageons dans sa splendeur cette petite société grecque, si élégante il y a deux mille ans, si artiste, si merveilleusement douée ; mais que la civilisation gagne en étendue, c’est ce qu’on ne saurait nier, et le mouvement qui de nos jours s’opère sur tous les points du globe en est la preuve irrécusable.

L’Océanie, avec ses découpures sans nombre et ses archipels d’étendues diverses, ses richesses naturelles, est le théâtre où se groupent et se meuvent avec le plus d’évidence les acteurs de ce spectacle nouveau. De Manille aux Sandwich et à Tawaï-Pounamou, on voit s’agiter dans un étrange pêle-mêle : le Chinois, que rien ne rebute, le fourbe et belliqueux Malais, l’indomptable Yankee, le gentleman anglais, colon bien préparé ou touriste observateur, l’émigrant pauvre et paisible d’Irlande et d’Allemagne, settlers, squatters, mineurs, artisans venus de tous les coins du monde. Seule au milieu de ce grand tumulte, la race indigène reste indolente et farouche ; la civilisation occupe le sol sans pouvoir en conquérir les habitans. Quand tous les autres prospèrent, ils s’isolent et s’effacent, et ils sont comme frappés de mort dès qu’on les arrache aux habitudes de leur ancienne existence : étranges familles humaines, dont l’esprit est aux antipodes de nos goûts, de nos besoins, de nos sentimens, comme leur terre est aux antipodes de la nôtre ! Leur dépérissement est-il donc un fait fatal et sans remède ? Beaucoup ont succombé : n’en sauvera-t-on pas quelques débris, et fait-on pour cela tout ce que le sentiment d’humanité conseille ? — Les colonies françaises, quoique tenant une bien petite place sur la carte du Pacifique, et les Sandwich, depuis longtemps soumises à l’action américaine, nous fournissent quelques élémens pour étudier cette question, sans cependant nous permettre encore de la résoudre. Ces sauvages sont si différens de nous, ils semblent inférieurs par tant de points, que peut-être ils n’ont pas d’avenir. Il faut d’ailleurs tenir compte de l’action désastreuse qui a été jusqu’ici exercée sur eux par le rebut de nos populations. Longtemps nous ne leur avons porté que la contagion de nos vices. Heureusement pour l’honneur de notre époque,