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En général, ils aimaient mieux créer un impôt nouveau que d’augmenter le chiffre des impôts anciens. Cela faisait une quantité agréablement variée de fermes grandes et petites qui avaient chacune leurs privilèges, quelquefois même leurs justices, car la ferme des gabelles faisait très bien mettre les délinquans aux galères. Ainsi la perception de l’impôt se faisait par des corporations, comme l’administration elle-même. Pour les créations d’offices, c’était moins un impôt proprement dit qu’un emprunt. Le roi vendait une charge ; après l’avoir vendue, il payait des gages au nouveau magistrat : c’était lui donner l’intérêt de son argent. Comme la plupart des charges emportaient l’exemption de certains impôts, la multiplication des fonctionnaires était une ruine pour le trésor ; mais on y gagnait pour le moment quelque grosse somme qui permettait de faire face à des nécessités urgentes. Le chancelier de Pontchartrain ne demandait pour remplir le trésor que quelques liasses de parchemin et quelques bâtons de cire rouge. On dit qu’il créa quarante mille offices à lui seul, tous inutiles. Quinaut fit à la fin du règne de Louis XVI un dénombrement des charges créées pour avoir de l’argent. Elles montaient à plus de trois cent mille, sans compter les brevets de maîtres. Ces parchemins trouvaient du débit grâce à la vanité française, soigneusement entretenue dans l’intérêt du trésor. Un marchand, en se retirant du commerce, était bien aise de se décorer du titre de conseiller du roi langueyeur de porcs ou de conseiller du roi mesureur de bois de chauffage. Nous voyons sous nos yeux des titres tout aussi vains, quoique moins ridicules, attirer des nuées de candidats.

Non-seulement les corporations, si nombreuses dans chaque ville du royaume, donnaient lieu à la création d’une quantité d’offices, mais les brevets de maîtrise étaient eux-mêmes pour la royauté un important moyen de finances. Les rois, dans certaines occasions, émettaient des brevets supplémentaires, comme on émet aujourd’hui des titres de rente. Ces brevets se cotaient sur la place suivant que la demande surpassait l’offre ou en était surpassée. Il y avait quelquefois des brevets à acheter de trois ou quatre créations différentes, parce que les premiers n’avaient pas trouvé d’acquéreurs, et que les rois avaient eu de nouveaux besoins. Très souvent le même roi créait, moyennant finance, une corporation à laquelle il recommandait, dans le préambule de l’édit, les bonnes règles du métier, le long apprentissage, le chef-d’œuvre, l’examen de réception, et quelques jours après il émettait des brevets de maîtrise qu’on pouvait acheter sans autre formalité, sans rien savoir du métier, et sans avoir été apprenti un seul jour. Entre autres usages dont l’industrie se serait bien passée, quand un prince du sang se