Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’achète comme une métairie, il doit être juste aussi que la moitié du peuple aille pieds nus, et que les inventeurs des souliers à bon marché soient condamnés aux galères.

L’auteur de l’Histoire des Classes ouvrières connaît trop bien les corporations du XIIe et du XIIIe siècle pour ne pas être frappé du caractère étroit et égoïste de leurs règlemens. Aussi est-ce particulièrement dans les règlemens de la deuxième époque, imposés aux corporations par les rois et par les parlemens, qu’il veut voir des idées plus générales, une préoccupation plus effective et plus intelligente des intérêts du consommateur. C’est là, suivant lui, un des plus grands services rendus au pays par la royauté. M. Levasseur se laisse peut-être un peu trop aller à cette indulgente philosophie de l’histoire qui attribue à la royauté tout ce qui s’est fait de bien depuis Louis IX, et on le surprend quelquefois à exalter comme d’éminens services des actes pour le moins équivoques dans leurs résultats, et qui, considérés dans l’intention de leurs auteurs, ne sont que l’égoïsme de la royauté substitué à l’égoïsme des seigneurs ou à celui des corporations.

Je veux bien reconnaître que quand Etienne Boileau rassembla autour de lui les gardes de la plupart des métiers et transcrivit leurs statuts en quelque sorte sous leur dictée, il donna quelque fixité à cette législation incohérente, et put faire en cela quelque chose d’utile. Je crois aussi que quand saint Louis, Louis XI, Henri IV, Louis XIV, modifièrent les règlemens d’une ancienne corporation, ou donnèrent des règlemens à une corporation nouvelle, ils se préoccupèrent sérieusement d’empêcher la sophistication des marchandises. Tout pouvoir central a des vues générales par le bénéfice de sa position, et c’est pourquoi la loi doit toujours être faite par un pouvoir central. Si le roi avait favorisé l’égoïsme d’une corporation au détriment du service public, il aurait agi contre lui-même. Il y a pourtant, on l’avouera, quelque exagération à lui faire un titre de gloire de ce qui résulte de sa condition et non de sa volonté, et je demeure très persuadé, par exemple, que si les états-généraux avaient été régulièrement convoqués, cette autorité toute différente, et qui n’avait de commun avec le pouvoir royal que d’embrasser la totalité de la nation, aurait introduit dans la législation des arts et métiers plus de vues d’ensemble et l’aurait remaniée avec plus de désintéressement et de résolution. Il faut d’ailleurs se souvenir que de Louis IX à Louis XIV la civilisation fait de rapides et immenses progrès. Était-il possible que l’industrie restât stationnaire pendant que l’instruction se répandait, que les vieux préjugés s’évanouissaient, que les besoins du luxe dans les hautes classes et du comfortable dans les classes inférieures allaient toujours