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ouvrages et ses lettres, dans la Biographia britannica de Kippis, les dictionnaires biographiques de Chambers et de Chalmers, la notice placée par Edmond Law en tête de la grande édition des œuvres complètes, l’Athenœ Oxonienses de Wood, l’Oxford and Locke de lord Grenville, un recueil de lettres originales donné par T. Forster en 1830, et surtout l’histoire et les pièces publiées par lord King. Sir Peter King, premier juge de la cour des plaids communs, puis chancelier d’Angleterre en 1725, était le plus proche parent de Locke. Il hérita de tous ses papiers, et son descendant, lord King, chef d’une famille qui soutient héréditairement tous les principes de liberté politique et religieuse du philosophe illustre qu’elle représente, a rendu le plus digne hommage à sa mémoire en donnant au public, avec un nouveau récit de sa vie, des extraits nombreux de ses livres de notes, de ses journaux de voyage et de sa correspondance. Ce livre, que M. Cousin a le premier fait connaître en France, est indispensable à toute nouvelle recherche sur Locke et même sur sa philosophie[1].

Autrefois on n’avait point toutes ces sources d’informations ; mais on n’y tenait pas. L’importance de la vérité historique en tout est une opinion nouvelle. Voyez aussi de quelle manière l’histoire, et notamment la biographie, était souvent écrite avant ce temps-ci. La vie d’un homme était conçue et racontée d’une façon pour ainsi dire abstraite. C’était celle d’un général, d’un magistrat, d’un savant ; on lui donnait uniformément les qualités de son état, les œuvres de sa profession, sans presque faire remarquer ce que les traits de sa nature, les circonstances de sa destinée, les opinions et les événemens de son temps avaient de particulier, sans noter surtout les rapports de tous ces faits entre eux, leur influence caractéristique sur celui qu’on prétendait faire connaître, et qu’on négligeait de peindre. Quoi de plus étrange cependant qu’un individu vague ? Or on ne nous a guère autrement représenté beaucoup de personnages historiques, et surtout les hommes éminens dans les lettres ou les sciences. C’est ainsi à peu près qu’un écolier se figure les écrivains de l’antiquité. Il les appelle des auteurs, et rien de plus. Il lui semble qu’ils ont arbitrairement choisi leurs sujets, leur genre, leurs opinions, comme on choisit pour lui la matière de son travail. Il croit qu’ils ont écrit comme lui-même il traduit, sans que son penchant ou sa conviction y soit pour rien. Tous les ouvrages ne lui paraissent guère que des amplifications. Cela peut être vrai de beaucoup de livres ; cependant les écrivains vraiment sérieux,

  1. The Life of John Locke, with extracts, etc., by lord King, nouvelle édit., 2 vol. ; Londres 1830.