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de charme dans cette espèce d’incantation poétique. Le duo pour ténor et soprano entre Shakspeare et la reine, qui lui apparaît voilée sous la forme idéale de Juliette, est un morceau scénique plein de vigueur et d’heureux contrastes, qui prépare fort bien le finale. Au troisième acte, on remarque l’air de bravoure que chante encore Elisabeth, auquel nous préférons de beaucoup la jolie rêverie dont la reine berce le génie de son grand et malheureux poète.

La partition dont nous venons de signaler rapidement les parties saillantes est l’œuvre d’un musicien habile et studieux qui respecte et honore son art. Le style de M. Ambroise Thomas, qui ne brille peut-être pas par une extrême originalité, ne manque ni de vigueur ni de délicatesse, et semble accuser l’influence de deux maîtres qui n’ont entre eux aucun rapport, de Weber et surtout de M. Auber, dont l’auteur de Mina, du Caïd et du Songe d’une Nuit d’été reproduit volontiers, mais sans servilité, les formes d’accompagnement. Son instrumentation, généralement soignée, vise au coloris, mais avec mesure; elle est nourrie d’une harmonie toujours recherchée qui circule librement à travers la variété des timbres, dont M. Ambroise Thomas n’abuse pas, quoique cela lui arrive cependant. Il y a comme un rayon de grâce et d’hilarité italiennes dans l’imagination de M. Ambroise Thomas, qui se sent attiré bien souvent vers l’école allemande, dont il connaît et apprécie les inspirations puissantes. On ne saurait donc parler avec trop de respect d’un musicien comme M. Ambroise Thomas, qui, sans atteindre aux hauteurs du génie, soutient avec éclat les traditions d’une bonne école.

Le Songe d’une Nuit d’été est assez bien rendu par les artistes de l’Opéra-Comique. M. Crosti joue et chante le rôle de Falstaff, écrit dans l’origine pour M. Battaille, avec entrain et beaucoup de brio. Sa voix de baryton manque de profondeur, mais elle est facile, et l’artiste la dirige avec goût. Le rôle très important de Shakspeare, qui fut une véritable création de M. Couderc, est rempli par M. Montaubry avec plus de bonne volonté que de succès. Cet artiste, qui a une physionomie agréable, une jolie voix de ténor et du talent, n’est pas encore parvenu à se débarrasser d’une certaine affectation qui gâte et neutralise ses meilleures qualités. On dirait que M. Montaubry ne comprend pas trop ce qu’il dit, et qu’il a plus de chaleur fébrile que de véritable émotion. Aussi manque-t-il la plupart de ses effets, sans qu’on puisse lui refuser pourtant une juste part d’éloges pour ses efforts. Le véritable intérêt de la reprise du Songe d’une Nuit d’été, c’était l’apparition d’une nouvelle cantatrice dans le rôle d’Elisabeth. Mlle Monrose est une jeune et jolie personne qui appartient à la famille du comédien intelligent qui pendant des années a brillé sur le Théâtre-Français. De très beaux yeux, une physionomie intéressante et une bouche un peu sérieuse font de Mlle Monrose une femme charmante qui dispose immédiatement le public en sa faveur. Sa voix est un soprano aigu, d’une étendue de deux octaves, qu’elle parcourt avec intrépidité par une vocalisation sûre et vigoureuse qui pourrait être plus homogène. Cette voix, atteinte un peu dans sa fraîcheur par des travaux opiniâtres et peut-être excessifs, demande à être ménagée. Comme tous les élèves de M. Duprez, Mlle Monrose possède certaines qualités de style qui ne sont pas communes : de l’élan, beaucoup