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lois constitutives de l’art les principes de sa grandeur et de son développement. On ne s’imagine pas tout ce qu’on imprime de nos jours sur la musique! M. Fétis ne s’est-il pas donné la peine de réfuter longuement un petit ouvrage sur « la musique au point de vue moral et religieux, » où l’on démontre que, pour devenir un grand compositeur, il faut être d’abord un bon catholique et croire au mystère de la sainte Trinité? M. Richard Wagner a fait plus de mal à l’Allemagne par les sophismes de sa prétendue doctrine sur la musique de l’avenir que par la représentation de ses ouvrages, dont on peut discuter le mérite. La propension de notre temps est de s’exagérer l’importance de la volonté et du labeur dans les œuvres de l’art, de prêter au génie créateur des préoccupations dont il n’a que faire, et de préférer en toutes choses la vérité à la beauté, les émotions que procure le drame à la sereine béatitude que nous fait éprouver l’expression de l’idéal. Quant à moi, mon siège est fait depuis longtemps, et, sans méconnaître la nécessité du changement dans les œuvres et les manifestations de l’esprit, je donnerais toutes les profondes laideurs qu’on applaudit dans quelques théâtres lyriques pour une inspiration divine comme Vol che sapete de Mozart ou Assisa al pié d’un salice de Rossini.

Je reviens à l’opéra de M. Ambroise Thomas, le Songe d’une Nuit d’été, dont l’ouverture n’est pas un chef-d’œuvre, surtout si on la compare à l’admirable morceau de symphonie que Mendelssohn a composé sur le même sujet. Des effets ingénieux, d’une sonorité un peu recherchée, précèdent un thème qui manque de caractère et surtout de coloris; mais le chœur de l’introduction est franc, ainsi que les couplets que chante Falstaff en entrant dans la taverne de la Sirène : Allons, que tout s’apprête! Le chœur et la marche des rôtisseurs ont cette même qualité de rondeur que n’offrent pas toujours les idées musicales de M. Ambroise Thomas. Le duo des deux femmes est un joli nocturne, fort habilement écrit pour les voix, et, quant au trio qui vient après, entre Falstaff, la reine Elisabeth et sa suivante Olivia, il renferme de jolis détails qu’on voudrait voir encadrés dans une idée mère plus saillante. Le dialogue s’alanguit parfois, et laisse désirer une instrumentation plus nourrie et plus cursive. Ce trio, fort difficile à bien rendre, est suivi d’un chœur bachique auquel s’enchaînent des couplets chantés par Shakspeare, qui ont de l’entrain. Un chœur, une jolie romance de ténor, chantée par Latimer, et le finale, où l’on remarque le chant de Shakspeare:

Je trouve au fond du verre,


qu’on dirait une phrase de ce pauvre et regrettable Monpou, la cavatine de la reine, et quelques mesures d’une harmonie délicate vers la conclusion, sur une marche chromatique de la basse (sol, fa dièze, fa naturel, etc.), terminent heureusement et pleinement le premier acte.

Le second acte, beaucoup plus riche que le premier en morceaux distingués, commence par un beau chœur des gardes-chasse du parc de Richmond, où se passe la scène. Ce chœur, devenu populaire, rappelle bien un peu celui d’Euryanthe de Weber, mais sans rien perdre de son prix. Je passe rapidement sur un air de basse de Falstaff, pour signaler le duo entre Falstaff et Latimer, et surtout les stances que chante Shakspeare, qui, au spectacle d’une belle nuit d’été, évoque son imagination ravie. Il y a beaucoup