Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/1013

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans cette situation ainsi faite, le gouvernement constitutionnel du Piémont, le seul représentant de l’indépendance nationale, était devenu nécessairement une menace permanente contre la domination autrichienne en Italie et contre les pouvoirs absolus des princes qui avaient fait cause commune avec l’Autriche. Par la même raison, c’est dans le patriotisme de ce gouvernement, dans la loyauté et la virile ardeur du fils de Charles-Albert, que tous les Italiens s’accoutumaient à placer désormais leur sympathique confiance. Pendant bien des années, l’Europe n’avait vu dans la pénible situation de l’Italie que l’œuvre violente et confuse d’un parti révolutionnaire, ou tout au moins les aspirations d’un peuple méridional fasciné d’utopies généreuses, mais chimériques, et on pardonnait à l’Autriche son système de compression. Dès que les droits des Italiens ont eu un gouvernement régulier pour les défendre incessamment, une tribune libre où ils ont pu être invoqués et proclamés, tout a été changé. Il est devenu alors non-seulement plus juste, mais plus urgent, plus utile pour la paix générale, de s’occuper de la péninsule. L’Europe a compris enfin qu’il y avait plus de difficultés et de périls à laisser se perpétuer la prépondérance et les empiétemens de l’Autriche en Italie qu’à restreindre la domination impériale dans ses strictes limites, en donnant une satisfaction aux vœux légitimes des Italiens. L’objet du congrès européen que les amis sincères de la paix et tous les honnêtes libéraux appelaient de leurs souhaits au mois d’avril dernier était donc d’assurer l’indépendance des petits états de l’Italie centrale, de rétablir dans ces états des institutions représentatives, de limiter l’influence de l’Autriche à ses seules possessions, et de constituer la nationalité italienne sous la forme d’une confédération.

On sait ce qui est arrivé. L’obstination et l’impatience de l’Autriche, les hésitations de l’Angleterre, la politique décidée de la France, l’ardeur des Italiens, tout a poussé à une solution violente, et l’Italie doit à l’élan de l’armée française, comme aussi à la bravoure de ses soldats et de ses volontaires, la libération de trois millions de ses enfans et l’annexion de la Lombardie à l’ancien royaume de la maison de Savoie. Au premier bruit de la guerre, les princes de l’Italie centrale abandonnaient le pays qu’ils gouvernaient. C’était tout simple : depuis dix ans surtout, ils avaient réellement abdiqué la qualité de princes italiens, et en ce moment décisif leur place n’était plus au milieu de leurs sujets, tout entiers à l’ardeur d’une lutte d’indépendance; elle était dans les rangs de l’armée autrichienne, et c’est là que se rendaient en effet le grand-duc de Toscane et le duc de Modène. Je ne ferai maintenant qu’une observation : si, pour conserver leur pouvoir et les droits de leur souveraineté, ces princes se sont fiés entièrement aux victoires de l’Autriche, est-il naturel que les victoires des armées alliées leur assurent les mêmes avantages au détriment des populations si ardemment unies à la France et au Piémont?

C’est là un point que les préliminaires de Villafranca ont laissé à résoudre, et qui ne peut être résolu par le traité de paix négocié en ce moment à Zurich. Je dis qu’il n’est point résolu, car si d’une part l’annexion de la Lombardie au royaume de Victor-Emmanuel II est désormais un fait acquis et reconnu, que les conférences de Zurich ont mission de transformer en