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siècle pour cet affranchissement laborieux de la société laïque, qui, émancipée ailleurs, cherche par un dernier effort à émanciper l’Italie.

Mais si la théocratie absolue a ses inflexibles logiciens, le principe moderne de la séparation du spirituel et du temporel a aussi les siens, et ceux-là, fortifiés par les excès de leurs adversaires, arrivent, par la même rigueur de raisonnement, à l’incompatibilité radicale du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel réunis dans la même personne. Ils rappellent d’abord que les mêmes argumens qu’emploient les apologistes du pouvoir temporel des papes ont été invoqués pour la défense des anciens privilèges temporels dont jouissait l’église dans tous les pays, et qu’aucun de ces argumens n’a nulle part arrêté l’émancipation de la société civile. Dans un grand nombre de pays où le catholicisme est florissant, que sont devenus les biens du clergé, et le droit civil n’y a-t-il pas fait reculer le droit canonique ? Ils invoquent l’histoire et montrent que depuis longtemps, surtout depuis un siècle, le pouvoir temporel des papes a été un obstacle au développement politique de l’Italie. Ils recueillent les aveux de leurs adversaires et ils affirment avec eux que la papauté, ne pouvant oublier dans sa politique les principes religieux qu’elle représente, non-seulement ne veut pas, mais ne peut pas réformer son gouvernement. Faut-il que, pour maintenir au profit des croyances de deux cent millions de catholiques le fantôme de l’indépendance spirituelle garantie par la souveraineté temporelle, trois millions d’hommes soient privés à jamais de ce bienfait de la séparation des pouvoirs qui assure la prospérité des autres sociétés européennes, et qu’une nation de vingt-six millions d’hommes soit éternellement condamnée à étouffer ses aspirations nationales ? Ils nient que le pouvoir temporel soit pour le pape une garantie d’indépendance ; ils soutiennent qu’il est au contraire pour le chef de l’église une servitude qui compromet son impartialité et sa dignité, car il l’expose à l’hostilité politique de ses sujets et des Italiens, et il le soumet aux ingérences continuelles des états étrangers, qui sont bien obligés de signaler son incapacité en venant au secours de son impuissance. Ils affirment au surplus avec une grande autorité morale que, si le pouvoir temporel est condamné pour subsister à faire violence aux vœux des populations qu’il gouverne, les vœux de deux cent millions de catholiques ne justifieraient point cette oppression, car deux cent millions, un milliard, un nombre d’hommes quelconque, n’ont point le droit d’enlever, non pas même à une nation, mais à un seul homme l’exercice de sa liberté légitime. Avec les auteurs du mémoire du gouvernement des Romagnes adressé aux puissances et aux gouvernemens de l’Europe, ils disent : « Les habitans des Romagnes demandent à introduire chez eux les principes admis dans les pays civilisés, l’égalité devant la loi, la liberté civile et politique. Ils ne veulent plus laisser au clergé le privilège de régler à lui seul tout ce qui concerne l’état civil, les mariages, l’enseignement, les institutions de charité. Ils veulent enfin un gouvernement libéral, le droit de voter les impôts qu’ils paient et d’en contrôler l’emploi. Toutes ces demandes découlent des grands principes de 1789. Or la cour de Rome ne peut y faire droit, puisque ces principes sont en contradiction avec celui de son propre gouvernement. Elle ne peut accorder de sécularisation véritable, car celle-ci ne consiste pas dans la no-