Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/1003

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trône moralement par la flétrissure des contraintes, » ne connaissaient-ils point le but des réformes désirées par le gouvernement français ? La lettre du président de la république à M. Edgar Ney, où le programme réformiste était résumé en trois mots : sécularisation, — code Napoléon, — gouvernement libéral, — ne les avait-elle pas éclairés sur l’esprit et la portée de nos conseils et de nos demandes ? Ont-ils pu supposer qu’après avoir occupé une si grande place dans ce qu’on pourrait appeler les préliminaires de la guerre, cette question pourrait être omise dans une pacification complète de l’Italie ? Non, les évêques ne peuvent alléguer ni une telle ignorance ni une telle illusion : pourquoi donc ont-ils ajourné à la dernière heure la production de leurs objections et de leurs doléances ? C’est le motif de notre surprise, et nous ajouterons de notre regret.

Nous ne sommes point en effet de ceux qui croient que l’on supprime les difficultés par le silence. Nous ne sommes pas de ceux qui contestent à des opinions même erronées et à des causes même injustes la faculté de se faire entendre. Loin d’admettre que l’absence de discussion rende l’action plus facile et plus sûre, nous pensons au contraire que la discussion doit précéder l’action, afin de l’éclairer et de la conduire aux solutions équitables et légitimes qu’elle a préparées. Les controverses opportunes permettent de rectifier à temps les opinions erronées ; elles font justice des mauvaises raisons et des exagérations, et, laissant à chacun sa part légitime d’influence dans la conduite des événemens, elles ménagent aux faits qui doivent s’accomplir un acquiescement plus général et plus digne. La discussion qui s’élève après coup dégénère en récriminations passionnées : l’on y entre déjà blessé, avec la douleur et la colère qu’inspire la défaite ; l’on s’y livre à ces emportemens où les opinions adverses perdent l’appréciation équitable des idées, ne veulent plus voir l’ensemble des choses, déchirent le droit pour en retenir le lambeau dont elles se couvrent, se travestissent mutuellement, et font dévier et échouer les questions mal engagées. Voilà le spectacle que nous donnent les manifestations tardives de nos évêques en faveur du gouvernement pontifical. Dans un intérêt si essentiellement catholique, nous reconnaissons aux évêques français le droit d’exprimer leurs sentimens, bien que nous ne les partagions point. S’ils avaient parlé avant la guerre sur cette question du gouvernement temporel des papes, non-seulement leurs paroles eussent pu avoir une influence préventive, mais peut-être, dominés eux-mêmes par l’intérêt humain de la paix, se fussent-ils laissé pénétrer d’un sage esprit de transaction, et eussent-ils aidé la France à obtenir de Rome des concessions nécessaires et honorables. En parlant aujourd’hui, ils ne font qu’apporter de nouveaux élémens d’irritation dans une situation déjà si troublée. Quelque fâcheux que soit pour lui un tel résultat, l’épiscopat français n’a guère le droit de s’en plaindre, si l’on songe au scepticisme politique qu’il a montré dans ces dernières années et aux traitemens qu’a reçus de lui la liberté de la pensée et de la parole. Nous ne le regrettons pas moins, quant à nous, et pour les intérêts moraux que le clergé catholique représente, et pour les intérêts politiques qui sont liés à la question italienne.

Pour juger du désavantage avec lequel l’épiscopat aborde la lutte, il n’y