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plats, des pots, etc., que l’on suppose pouvoir être utiles au défunt dans l’autre monde ; ces offrandes sont à dessein déchirées ou brisées en mille morceaux, parce que le Grand-Esprit doit les remettre à neuf. Souvent au canot qui contient les dépouilles d’un guerrier sont accrochés ses armes et son costume de guerre ou de chasse. Les cimetières sont sacrés. Malheur à qui oserait prendre l’un des objets que la superstition indienne y a déposés ! Ce serait un cas de mort.

Dans certaines tribus, on porte sur le dos, dans un sac, les ossemens d’un parent ou d’un ami décédé ; mais gardez-vous de demander le nom de celui dont l’Indien promène ainsi les dépouilles. Parler d’un mort est signe de malheur ! Un jour, M. Kane demanda des nouvelles d’un enfant dont il avait fait le portrait lors d’une précédente visite. On ne lui répondit pas ; l’enfant était mort. M. Kane n’eut que le temps de courir à son embarcation et de s’éloigner à force de rames ; la famille, croyant que le portrait avait causé la mort de l’enfant, lui aurait fait sans nul doute un très mauvais parti. Du reste, les chefs de tribu ne se figurent pas qu’ils puissent, eux ou leurs fils, mourir de mort naturelle. Suivant leurs idées, ce malheur doit être attribué à une influence maligne, à une sorte de jettatura, qui appelle nécessairement vengeance. Par conséquent, lorsqu’un personnage important perd un fils, il faut qu’il trouve l’auteur du mauvais sort, et qu’il le tue. Sa pensée s’arrête sur celui-ci ou sur celui-là, quelquefois sur un proche parent ou sur un ami intime. C’est fâcheux, mais il n’y a pas à raisonner en pareil cas. Un chef chinook voulut ainsi, devant M. Kane, tuer l’une de ses femmes, la mère même du fils qui venait de mourir. Il aimait cependant beaucoup cette femme, mais en la sacrifiant il croyait précisément honorer davantage le défunt. « Et puis, ajoutait-il, elle adorait son fils, elle avait de lui les plus grands soins, il faut qu’elle le suive, je ne veux pas qu’ils soient séparés. » On eut toutes les peines du monde à la faire échapper. Le lendemain, le cadavre d’une femme assassinée fut trouvé aux environs, et l’on ne douta pas que le meurtre n’eût été ordonné par le chef, à défaut de la victime primitivement désignée. Cela se passait au fort Vancouver, en vue d’un établissement européen, à côté des missions catholiques et protestantes qui ont entrepris la conversion de ces infidèles ! M. Kane cite un second exemple, dans lequel ce fut un Européen, M. Blake, qui tomba sous le fusil de l’un de ces pieux assassins. Un chef étant mort, sa veuve décida qu’il lui fallait le sacrifice d’un blanc, et elle ordonna à son fils de faire le coup.

Voici une autre coutume qui paraîtra surtout curieuse à cause de l’analogie qu’elle présente avec les sutties, si longtemps en vigueur