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réprimer les désirs déréglés qui naissent dans le cœur des jeunes gens. » Il répondait lui-même à un prêtre de ses amis qui lui demandait pourquoi il ne s’était pas marié. « J’ai une femme de trop qui m’a toujours persécuté, c’est mon art, et mes ouvrages sont mes enfans. » Tout renfermé dans son austère amour de la vérité durable, il eût craint de ne trouver dans une femme que la beauté fragile et l’inconstante amitié. Michel-Ange avait toutes ses habitudes dans le monde de la pensée. Que pouvait-il attendre de l’amour ? Moins que rien, ou un continuel orage. Il ne faut pas compter sur les exceptions. Que pouvait-il attendre d’une femme ordinaire, sinon l’indifférence, l’hostilité ou une de ces passions bruyantes et déchaînées qui détruisent les plus forts caractères après les avoir dégradés par des faiblesses et traînés dans tous les malheurs ? Pris dans leur caractère exceptionnel, de pareils hommes sont sublimes. Honnêtes, sobres, purs, occupés seulement de la vérité, ils sont plus grands que les ascètes, car ils vivent dans le monde au milieu des dangers, et si nous devons leurs chefs-d’œuvre à leur divorce d’avec la nature humaine, ce n’est certes pas nous qui avons à nous plaindre de la solitude où ils sont restés.

Ce n’est réellement que dans celles de ses poésies qui se rapportent directement à son art que nous retrouvons la puissante et fière pensée de Michel-Ange. Je n’en veux donner pour exemple que l’un de ses madrigaux qui me semble être une de ses plus amples et de ses meilleures inspirations. « Il me fut accordé en naissant, comme un gage assuré de ma vocation, cet amour du beau qui dans doux arts me guide et m’éclaire ; mais, croyez-moi, jamais je ne contemplai la beauté que pour élever ma pensée avant de peindre ou de sculpter. Laissons des esprits téméraires et grossiers ne chercher que dans les objets matériels ce beau qui émeut, qui transporte les esprits supérieurs jusqu’au ciel. Ce n’est pas à des regards infimes qu’il est donné de s’élever de l’homme jusque vers Dieu : ils essaieraient vainement d’arriver où la grâce seule peut conduire. »

A sa manière, Michel-Ange devait pourtant aimer. C’est l’affection d’une femme et le souvenir passionné qu’il en garda jusqu’à sa plus extrême vieillesse qui remplit et qui éclaire la dernière période de sa vie. Cette affection tardive ouvrit à de nouveaux sentimens un cœur qu’il avait donné jusque-là tout entier à ses devoirs et à l’art. Plus tôt, Vittoria n’eût été qu’une cause de trouble pour lui. Il la connut lorsque sa vie d’artiste était pour ainsi dire terminée. Cet attachement fort et pur couronna dignement une existence pleine de grandes choses ; il vint à son temps remplacer les rêves de l’imagination et les attraits de la gloire. Aussi le souvenir de Vittoria Colonna est-il inséparable de celui de Michel-Ange, et la chaste tendresse de cette noble femme lui vaut de partager son immortalité.

Ce n’est que très brièvement que Vasari parle de Vittoria. « Michel-Ange, dit-il, adressa un très grand nombre de sonnets à l’illustre marquise de Pescara, qui lui répondit en vers et en prose, et se rendit même souvent de Viterbe à Rome pour jouir de ses entretiens. Elle reçut de lui plusieurs dessins admirables, entre autres une Vierge accompagnée de deux petits anges et soutenant son fils sur ses genoux, un Christ en croix, et la Sa-