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exacte des peaux-rouges, de leur caractère, de leurs mœurs, de leurs rapports avec les Européens et de la destinée qui les attend.

La première excursion date de 1845 ; elle ne dura pas plus de six mois, de juin à novembre ; c’était comme un essai pour le grand voyage que M. Kane se proposait d’entreprendre. Parti de Toronto, sa ville natale, qu’il avait vue, dans son enfance, simple bourgade peuplée seulement de quelques familles blanches sur les confins des peaux-rouges, et qui en peu d’années était devenue l’une des cités du Canada, il traversa les lacs Ontario, Érié, Huron, Michigan, et s’arrêta au Saut Sainte-Marie. Les tribus établies sur les bords des lacs ou dans les nombreuses îles qui couvrent ces petites mers intérieures ont conservé leur caractère primitif, à peine altéré par le voisinage des Européens et par les prédications des missionnaires. En lisant les descriptions de M. Kane, on se rappelle les tableaux poétiques que Chateaubriand a consacrés aux Natchez et les romans de Cooper. Les Anglais et les Américains se sont bien gardés de toucher à l’organisation de la tribu ; ils n’ont cherché qu’à s’assurer par des présens, et au besoin même par un salaire, le dévouement et l’obéissance des principaux chefs. Chaque année, à une époque fixe, on envoie dans les plus puissantes tribus des approvisionnemens d’armes, de tissus, d’outils, de tout ce qui peut être utile aux Indiens : une partie, selon d’anciennes conventions, est distribuée entre les familles par les soins des chefs ; le reste est mis en vente. Les colporteurs se donnent rendez-vous à ce marché annuel, qui est en même temps une occasion de fêtes et de réjouissances. Ordinairement les chefs de tribus y tiennent le grand conseil.

M. Kane assista à l’une de ces réunions politiques sur la rive méridionale du grand lac Michigan, qui dépend du territoire des États-Unis. Trois mille Indiens environ étaient rassemblés sur ce point. Dès l’arrivée de l’agent américain chargé de remettre les présens annuels, le conseil, composé de trente membres, fut convoqué par son président, Ocosch, le brave des braves, ainsi nommé à cause de ses exploits à la guerre et à la chasse. Lors de l’élection du chef de la tribu, Ocosch, menacé par un compétiteur qui lui disputait les voix du conseil, avait proposé de vider le litige à coups de couteau en combat singulier, et son adversaire l’avait laissé maître de la place. Le président Ocosch ouvrit donc la séance en allumant une pipe qui passa à la ronde, chacun des membres aspirant une ou deux bouffées : le nuage de fumée s’élevant vers le Grand-Esprit est considéré comme l’emblème de l’harmonie qui doit régner dans le conseil. Quand cette cérémonie préliminaire fut accomplie, la délibération commença ; elle roula principalement sur les doléances