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peaux-rouges, pour les civiliser par la religion et par le travail. L’honneur et l’intérêt leur commandent de protéger ces tribus, qui ont été successivement expropriées des vastes espaces demeurés stériles entre leurs mains. Malheureusement il y a des lois fatales. Les Indiens sont condamnés ; ils auront le destin de tant de races primitives aujourd’hui disparues. Laissons aux ethnographes et aux philosophes le soin de disserter savamment sur ces grandes révolutions humaines et de prononcer l’oraison funèbre des peuples qui s’en vont. Il s’agit simplement ici de décrire d’après nature, quand il en est temps encore, quelques traits de la vie et du caractère des peaux-rouges, de faire une courte excursion au milieu des tribus qui habitent, sous la domination anglaise, les territoires compris entre le Canada et l’Océan-Pacifique.


I

Ce n’est pas un voyage de touriste : là point de chemins de fer ni de bateaux à vapeur ; à chaque pas, des difficultés, des fatigues et des périls. A. l’exception des missionnaires, qui vont partout, et des employés de la compagnie de la baie d’Hudson, qui prennent du service dans ces ingrates régions, les Européens ne sont guère tentés de s’y aventurer. Les missionnaires, on le sait, ne perdent pas au récit de leurs impressions de voyage le temps qu’ils doivent consacrer tout entier à leur apostolat, et les employés de la compagnie d’Hudson, salariés pour s’occuper de l’achat des fourrures, sont généralement plus habiles à tenir leurs comptes qu’à écrire des relations. De là l’extrême rareté des renseignemens qui nous parviennent sur les peaux-rouges. De loin en loin seulement, quelque gentleman se met en tête de visiter ces tribus : c’est un aventurier, blasé de la vie d’Europe et curieux d’essayer de la vie sauvage ; c’est un chasseur qu’entraîne dans ces giboyeux parages la passion de saint Hubert, ou bien encore c’est un artiste à la recherche de types nouveaux et de paysages inconnus. M. Paul Kane, dont nous allons suivre les pérégrinations, appartient à la famille des artistes ; il a traversé l’Amérique du Nord pour recueillir des portraits de peaux-rouges et se composer un album de dessins. Par surcroît, et en guise de texte, il a écrit un journal de voyage, sans prétention littéraire ni scientifique. Ce journal est sobre de détails et même de descriptions pittoresques, l’artiste qui sait manier le crayon et le pinceau n’ayant que faire de la plume ; le récit est très court et juste ce qu’il faut pour expliquer la planche coloriée qui lui sert de motif : tel qu’il est cependant, il suffit pour nous donner une idée assez