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La crainte que la sœur ne découvrît la retraite de la pauvre enfant et ne la torturât à son heure dernière augmentait encore la douleur du Franciman ; son âme se partageait entre une double anxiété. Revenu au village pour ne pas éveiller les soupçons de l’abbé Tabourel, Urbain eut le courage de refouler ses angoisses et de jouer une partie de quatrète. Le lendemain, il courut au Cross de Niou ; mais le capélan l’avait fait épier, et le retour de la Clavelette fut bientôt connu dans les deux Balaruc. La sœur blêmit de rage lorsqu’elle apprit qu’Urbain prodiguait ses soins et sa tendresse à la Clavelette. Le moment de la vengeance lui paraissait arrivé ; elle résolut de faire révoquer l’instituteur. — Nous verrons bien, dit-elle aigrement, lorsque le Franciman et la naturelle seront sans sou ni maille, si le précom pourra les nourrir et les loger tous deux dans son trou à rats.

Les apparences accusaient l’instituteur, et il ne fut pas difficile à Mlle Barbot de faire constater qu’il avait une intrigue coupable avec une fille d’hôpital qui s’était sauvée de chez elle. Un soir, au moment de se rendre au Cross de Niou, le Franciman reçut la nouvelle de sa destitution. M. de La Murade était parti pour la ville, les fils des païres ne prenaient plus de leçons à cause des travaux des vendanges, et le panar se trouva subitement sans ressources, car il avait dépensé son petit trésor pour meubler et adoucir l’asile de la Clavelette. Cependant, lorsqu’il eut fait un petit paquet de ses livres et de ses hardes, il dit un adieu presque joyeux à Balaruc, car la naturelle semblait reprendre quelques forces, et l’espoir de la sauver remplissait seul son cœur.

L’affection qui l’entourait, des heures calmes et douces, avaient suspendu un moment les progrès de la phthisie qui dévorait la jeune fille ; mais comme la lampe qui manque d’huile et qui répand une clarté plus vive au moment de s’éteindre, la Clavelette, épuisée par une énergie factice, s’était affaiblie tout à coup. Lorsque le Franciman arriva au Cross de Nïou, le précom, debout au chevet de Catha, recevait ses adieux en pleurant. À la vue d’Urbain, une légère rougeur glissa sur les traits blêmis de la mourante.

— Je sens qu’il me reste peu d’instans à vivre, lui dit-elle ; assurez-moi encore que vous m’aimez, et je m’en irai heureuse.

Le soir, au coucher du soleil, l’âme de la naturelle avait dit adieu à la terre. Obéissant à une dernière prière de Catha, qui n’avait pas voulu être enterrée dans le cimetière de Balaruc, le précom déposa le lendemain le corps glacé de la jeune fille sur la petite garrigue d’imbressac, où elle eut pour linceul les algues du rivage. C’était le matin, les oiseaux vinrent s’abattre en chantant sur le gazon de