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école. Il s’était dit que les valets et même certains païres ne seraient pas fâchés de pouvoir apprendre à lire et à compter après leur journée. Comme les précoms sont les affiches vivantes des villages, il pria Picouline d’aller trompeter la nouvelle dans tout le pays. Le précom partit avec empressement, heureux d’être utile à Urbain ; mais il s’en revint l’oreille basse : l’annonce du cours d’adultes n’avait rencontré partout qu’indifférence, La sœur se réjouissait en secret de tous les échecs du panar, qui, fatigué de tant d’obstacles, lui paraissait devoir un jour s’estimer fort heureux d’accepter sa fortune et sa main. À tout hasard elle reprit donc ses minauderies, et bientôt pourtant, impatiente de l’air réservé et froid du jeune homme, voulant avoir le cœur net sur ses intentions, elle pria le capélan de parler au Franciman. L’abbé Tabourel fit venir le panar à la cure, et après un long préambule sur la convenance qu’il y avait pour un instituteur à se marier, il lui offrit la main de Mlle Ambroisine d’une façon qui n’admettait pas de refus, mais qui réclamait au contraire toute sa gratitude. Qu’on juge de la colère du capélan, lorsque le panar, après l’avoir remercié, lui répondit que si sa position ne lui permettait pas d’épouser tout de suite Catha, il avait du moins la consolation d’espérer en des temps meilleurs et la douceur de pouvoir rester fidèle à ce premier amour.

Mlle Ambroisine fut encore plus furieuse que l’abbé Tabourel. — C’est donc une masca (sorcière) que cette fille d’hôpital ! dit-elle. À partir de ce moment, elle maltraita plus encore l’innocente enfant.

Il n’est pas de mystères pour les villages ; le refus du panar d’épouser la sœur fit grand bruit dans Balaruc. Pendant que la vieille fille disait qu’elle saurait bien se venger, la Clavelette, touchée profondément de l’amour du jeune homme, prenait la résolution de s’en rendre digne en travaillant à amasser la dot modeste qui lui manquait ; mais, hélas ! comment chercher ailleurs le salaire que Mlle Barbot lui refusait ? La naturelle n’était pas libre, elle appartenait à la sœur depuis le jour où celle-ci l’avait obtenue des religieuses de Montpellier, et jusqu’à sa majorité elle ne pouvait quitter l’école que pour rentrer à l’hospice. L’idée de la fuite vint à l’esprit de la pauvre enfant, et cette idée, elle se tint prête à l’exécuter.

De son côté, après sa réponse à l’abbé Tabourel, Urbain avait résolu de gagner l’indépendance, de s’assurer une source de revenu qui lui permît de vaincre l’hostilité du capélan et de la sœur. Une occasion favorable vint s’offrir, et il la saisit avec empressement.

Il y avait près de Balaruc un vieux château, appelé La Murade, où personne ne mettait jamais les pieds. On le disait emmasqué. Des murs crevassés, massifs, des volets noirs, lui donnaient en effet un aspect lugubre. L’allée qui y conduisait était bordée de santoline