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jaunes, bleus ou verts, avec le nom ou l’inscription appropriée à la personne à qui on les offrait. Urbain ne trouva pas décent de donner à Mlle Ambroisine une de ces bagues symboliques : il choisit à son intention une épingle surmontée d’un coq qui étalait ses ailes d’un air assez martial pour écarter toute allusion amoureuse ; mais en même temps le jeune homme commanda avec mystère deux anneaux mignons, l’un blanc, portant le nom de Catha, l’autre surmonté de deux petites colombes, puis il cacha soigneusement dans sa poche la petite boîte en copeaux de bois colorié qui les renfermait. Comme Mlle Ambroisine mettait son châle, le Franciman lui offrit pour l’attacher le coq aux couleurs éclatantes, et la vieille fille, en même temps qu’elle lui adressait un sourire de remerciement qui mettait à nu ses grandes dents jaunâtres, tournait vers la naturelle un regard dédaigneux.

On partit, la Clavelette chargée du panier contenant le goûter, et la sœur se fâchant de ce que le panar l’arrachait à ses mains délicates. La présence de Mlle Ambroisine semblait paralyser la pauvre Catha, qui n’osait plus lever les yeux autour d’elle : on eût dit qu’elle avait perdu l’intelligence avec la liberté de ses allures. Le chemin était pierreux ; il fallut traverser d’immenses garrigues, et la petite caravane arriva bien lasse à l’abbaye de Vallemagne.

Cette ancienne abbaye de Cîteaux remonte au XIIe siècle. L’architecture gothique de l’église est d’une simplicité des plus élégantes. Le chœur est mystérieusement éclairé d’un jour affaibli par de nombreux piliers, qui ne cachent pas néanmoins au grand autel la vue des chapelles dont la nef est entourée. Des faisceaux de colonnettes s’élèvent de ces piliers, et les chapiteaux qui les couronnent supportent les nervures de la voûte, qui viennent retomber sur leurs sculptures. La Clavelette, malgré la timidité qui serrait son cœur devant Mlle Ambroisine, ne put s’empêcher de déplorer le vandalisme qui avait transformé en une étable cette imposante église. Mlle Barbot, qui ne comprenait pas l’intérêt que pouvaient offrir ces murs noircis, privés de tableaux, ces colonnes à moitié brisées, ces vitraux où des plantes grimpantes remplacent les couleurs disparues, et ces rosaces de pierre à demi cachées par des meules de foin, proposa de monter sur le toit des bas-côtés de l’église, qui, pavé de dalles, forme une terrasse dont on peut faire le tour en passant sous les arceaux d’appui de la voûte principale. Après avoir admiré le magnifique paysage qu’on découvre de cette terrasse, la sœur voulut qu’on allât goûter dans la rotonde octogone qui se trouve au milieu du préau du cloître. Cette rotonde, autrefois destinée à la sieste des religieux, est formée par des colonnes gothiques, qui sont surmontées d’un dôme de pierre à jour d’une légèreté aérienne, et sur lequel des vignes séculaires entrelacent leurs pampres nuances.