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Dès le mois de mai, les humbles croix de pierre qui s’élèvent de loin en loin dans les campagnes du midi de la France sont pieusement ornées de feuillage et de fleurs, et au retour du travail les fidèles vont y prier pour les biens de la terre. Des chants religieux retentissent alors au sein des garrigues, les cierges mêlent leur clarté vacillante à la douce lueur du crépuscule, et pendant que la cloche de l’église sonne à toute volée la fête poétique des Rogations, l’encens s’élève vers les cieux avec les parfums printaniers de l’aubépine, du fenouil et du jasmin sauvage. Dans les villes, la procession est prévue, attendue, organisée d’avance ; c’est une fête du calendrier qui l’amène à jour fixe. Au village, il suffit d’un deuil, d’une crainte, d’un vœu public, pour que le capélan fasse marcher en longue file dévote son docile troupeau.

L’abbé Tabourel avait fait subir des examens aux élèves du Franciman ; les plus instruits sur le catéchisme devaient être admis à la communion de la Fête-Dieu et soutenir l’autel portatif à la procession de la Pentecôte. Ce soir-là, les parens des enfans acceptés par le curé étaient tenus d’offrir à l’instituteur un repas de réjouissance ; mais ce qui charmait bien plus encore Urbain dans ce beau jour de la Pentecôte, c’est la surprise qu’il ménageait à la Clavelette. La pauvre fille avait dû se contenter jusqu’alors de suivre les processions à côté des vieilles femmes, car sa petite robe brune lui interdisait les rangs des jeunes filles, qui, habillées de blanc, marchent en tête du cortège portant des bannières et des croix. Le Franciman se faisait une fête de voir la naturelle parée de la robe blanche et du voile de gaze qu’il était allé choisir pour elle à Gigean.

La Clavelette arriva avant tout le monde à l’église, conduisant les plus petites élèves de Mlle Barbot. Le voile qui tombait sur son visage ne cachait qu’à demi la rougeur charmante répandue sur ses traits ; elle marchait timidement dans ce costume, qui semblait lui prêter une candeur et une grâce nouvelles. Ses yeux étaient baissés, mais elle reconnut vite Urbain en passant près de lui, et le sourire qu’elle lui adressa valait bien des remerciemens. Le Franciman, tout heureux, entra dans l’église, dirigeant son petit troupeau vers le banc destiné aux écoliers ; mais il dut bientôt s’arrêter et revenir sur ses pas. Le banc avait été relégué derrière la chaire, et les chaises de quelques dévotes s’étalaient à sa place. Avant que le jeune homme se fût expliqué la cause de ce changement inattendu, l’abbé Tabourel était monté en chaire, et annonçait que pas un seul des élèves du Franciman ne se trouvait assez bien préparé pour être admis à la première communion. Il ajouta qu’une nouvelle mesure venait d’être prise pour que les fidèles raisonnables et pieux eussent désormais les meilleures places dans l’église. Il termina en disant qu’il croyait nécessaire d’infliger une punition aux