Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/943

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telle sorte qu’il est bien difficile de distinguer sous les décombres s amoncelés les murs respectifs de chaque demeure : c’est la communauté des ruines. De loin en loin, les rues sont coupées par des arceaux couronnés de mousse, de pariétaires et de violiers sauvages. Quelques maisons ont leur escalier placé extérieurement et dominé par une espèce de terrasse couverte d’un toit en brique ; des pyramides de pierres, entassées sans ordre à la base de cette terrasse pour en soutenir l’édifice branlant, ajoutent encore à la singularité de cette architecture mauresque. Des débris de rempart enlacent le bourg d’une ceinture de pierres, et lorsqu’ils sont détachés par le vent ou par la pluie, ils roulent le long du coteau pour former une nouvelle barrière au pied des baries[1], qui se mirent coquettement dans l’eau. À l’extrémité du village, une plate-forme, entourée d’un parapet de pierre, décrit un demi-cercle au-dessus de l’étang de l’Angle. La vue qu’on découvre de cette petite esplanade, au milieu de laquelle est planté un grand micocoulier, dissipe heureusement l’impression de tristesse et d’ennui produite par l’aspect du village. La vallée que domine Balaruc-le-Vieux rappelle l’Orient par ses belles lignes, par le calme de son atmosphère, par les effluves d’or de son radieux soleil, par l’accentuation des ombres qui, vers la fin du jour, s’allongent sur la terre comme de gigantesques fantômes. Dans cette campagne riche et sévère, les lignes bleuâtres de l’horizon se découpent avec une merveilleuse limpidité ; les teintée du sol sont vigoureuses ; la poussière blanchit l’herbe ; le soleil dore la terre ; l’insecte bourdonne son chant métallique sous un ciel empourpré ; la brise parfumée des garrigues tempère un air embrasé, et de loin en loin les arbres, les collines et les villages détachent nettement leur profil sur la plaine immense que la baie de l’Angle borde d’une frange d’argent.

Depuis quelques instans, Urbain était arrivé à la petite esplanade de Balaruc. Appuyé sur le parapet, il ne pouvait détacher ses regards du splendide panorama qui se déroulait autour de lui. Certains petits coups frappés en cadence partaient du milieu de la plate-forme où s’élève le grand micocoulier. Le jeune homme crut d’abord que ce bruit monotone était causé par des sitelles, espèce d’oiseaux qui frappent les vieux troncs d’arbres avec leur bec pour en faire sortir les insectes, ou pour y introduire des provisions de grains ; mais nul oiseau ne cherchait sa pâture sur les branches dépouillées. En regardant attentivement ce bel arbre, géant du passé, resté debout au milieu des ruines, le panar découvrit une ouverture à son large tronc, et dans cette ouverture un savetier commodément établi : le bruit s’expliquait. Le cordonnier leva la

  1. Faubourgs.