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et l’aptitude nécessaire pour cela, non-seulement ne donnent pas à ces services tout le développement utile, mais sont obligés parfois de ralentir leur activité, sous peine de la rendre ruineuse. Il semble vraiment que ce soit un défi jeté au bon sens le plus vulgaire : tant de force perdue ou contenue quand elle a un si beau champ pour s’exercer, tant d’objets qui se déprécient près d’acquéreurs à qui ils conviendraient si fort ! Aussi beaucoup d’esprits, les uns sensés, les autres aventureux, ont-ils étudié ce problème avec l’espoir d’arriver à un arrangement meilleur. Les uns en ont vu la solution dans une plus égale distribution de la richesse et ont proposé, pour y parvenir, des combinaisons chimériques qui aboutissaient presque toutes à un communisme administratif. D’autres ont placé la cause du mal dans la rareté des instrumens de circulation et présenté comme remède l’extension indéfinie des valeurs fiduciaires. D’autres enfin sont allés jusqu’à conseiller et pratiquer l’échange en nature, qui nous eût ramenés à l’économie des sociétés primitives. M. Michel Chevalier a une intelligence trop ferme et des principes trop arrêtés pour céder à cet empirisme ; il en a fait au contraire justice, et avec une grande autorité. Il sait bien qu’abandonnées à leur cours naturel, les choses s’arrangent mieux et plus justement que lorsque l’arbitraire s’en mêle. S’il se déclare pour l’accroissement de la production, c’est platoniquement pour ainsi dire ; il en exprime le désir en se gardant de l’imposer.

Au fond, le moyen n’est pas dénué d’efficacité, et les faits en témoignent. L’accroissement de la production a pour effet l’abaissement des prix, et l’abaissement des prix entraîne l’accroissement de la consommation : si la marche est lente, elle est sûre. Le seul écueil est l’avilissement du produit et les crises que cet avilissement engendre ; mais, à juger les choses de haut, les industries ne souffrent pas des crises autant qu’on pourrait le croire. On a remarqué qu’elles en sortent mieux trempées, mieux armées, qu’elles deviennent plus ingénieuses sous l’empire de la nécessité, s’y créent des ressources nouvelles et s’arrachent à l’indolence, qui est inséparable d’un succès trop facile. Ces crises sont pour les industries ce qu’un orage est dans l’atmosphère : en les ébranlant, elles les épurent. Dans tous les cas, l’avilissement des prix, dommageable aux individus, est un bien pour la communauté ; avec moins de dépense, celle-ci défraie alors plus de besoins, et le problème, qui semblait insoluble, trouve ainsi un dénoûment naturel. Qu’y a-t-il à faire ou à conseiller pour cela ? Rien ou peu de chose. Les industries y pourvoient d’elles-mêmes ; la libre concurrence suffit. Par l’effet de leur rivalité, elles tendent à accroître leurs produits et à en diminuer le prix, ce qui rend ces produits plus accessibles. Les