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des choses l’entraîne. Quand une église n’a pas cette base inébranlable que l’église romaine revendique, il faut qu’elle se plie et s’accommode aux temps, dût-elle, pour vivre, sacrifier les sources mêmes de la vie. Cartwright déplore que les camps religieux, théâtres de ses succès, soient aujourd’hui complètement tombés en désuétude ; c’est un changement qui s’explique à merveille par la peinture même qu’il nous a faite de ces sortes de réunions. Bien d’autres changemens s’accompliront encore, et seront, comme celui-ci, le résultat naturel de la transformation qui s’opère aux États-Unis. Une population plus dense et façonnée aussi aux douceurs de la civilisation a des habitudes plus régulières et d’autres besoins qu’une population disséminée et à demi sauvage. Pourquoi irait-on chercher dans les bois une prédication qui vous sollicite tous les jours à votre porte ? Pourquoi une société nombreuse et riche s’imposerait-elle d’attendre le passage d’un missionnaire pour faire baptiser les enfans, faire bénir les mariages et recevoir les sacremens, alors qu’au prix d’un léger sacrifice elle peut élever une église et attacher à cette église un pasteur connu d’elle ? La vallée du Mississipi est remplie aujourd’hui de grandes villes, dont quelques-unes ont plus de cent mille habitans : avec ces cités populeuses se sont développés des besoins nouveaux auxquels le méthodisme doit satisfaire, et cette église, jadis disséminée dans les bois, compte sans doute aujourd’hui dans les villes le plus grand nombre de ses adhérens. Une population sédentaire entraîne forcément un clergé sédentaire. C’est par l’effet de ce changement qu’a commencé et que se dessinera chaque jour davantage la transformation que subit le méthodisme américain. Pendant que les établissemens sédentaires de cette église grandiront, que son clergé s’éclairera, que ses fondations de toute sorte s’augmenteront et s’enrichiront, l’apostolat y déclinera peu à peu, et y sera relégué sur le second plan, comme dans les autres églises. En attendant, le mouvement d’émigration poursuit toujours sa marche vers l’Océan-Pacifique, les dangers et les besoins des pionniers n’ont pas diminué. Seulement sur leurs traces arrive déjà le missionnaire catholique. Depuis qu’elle a pris pied aux États-Unis à la suite de l’émigration irlandaise, l’église catholique a fait dans l’ouest des progrès merveilleux. Elle a son clergé régulier pour les villes, ses ordres religieux pour les populations flottantes et disséminées, et grâce à cette double milice, qui se recrute sans cesse dans les deux mondes, elle héritera peut-être, dans la vallée du Mississipi, du rôle que le méthodisme a rempli pendant près d’un siècle.


CUCHEVAL-CLARIGNY.