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de persévérer dans le ministère. À l’automne de cette même année, le père de Cartwright, par une spéculation fréquente de la part des pionniers, céda l’établissement qu’il avait formé, et se transporta sur les bords de la rivière Cumberland, dans un pays tout neuf, que l’on commençait à peine à défricher. Quoique sa résidence dût se trouver au moins à trente lieues de l’itinéraire de tout missionnaire, Cartwright n’en alla pas moins trouver le président du district, John Page, afin d’en obtenir un certificat d’affiliation pour lui et plusieurs membres de sa famille. John Page rédigea aussitôt un brevet qui donnait à Cartwright le droit de parcourir le pays qu’il allait habiter, d’y convoquer des réunions, d’y former des classes, en un mot d’organiser un circuit, à charge de se rencontrer avec lui à la réunion trimestrielle de l’automne suivant pour lui rendre compte. C’était attribuer à Cartwright, qui atteignait à peine ses dix-huit ans, toutes les fonctions d’un prédicateur régulièrement institué. Le jeune homme recula devant cette responsabilité ; il fit valoir le peu d’éducation qu’il avait reçu et la nécessité pour lui de s’instruire. John Page répondit que la prédication serait pour lui la meilleure de toutes les écoles. Pendant l’hiver, il serait inutile à la ferme paternelle : il pourrait donc aller passer ce temps dans un collège, s’il s’en trouvait un à sa portée ; mais au retour du printemps, sitôt que la saison rendrait possible de parcourir le pays, Cartwright devait se mettre courageusement à l’œuvre et se reposer du reste sur le Seigneur. Le jeune homme dut céder ; il sentait d’ailleurs une flamme intérieure qui le dévorait, et qui avait besoin de se répandre : il se rendit à Lexington, où il suivit les cours d’une académie où l’on joignait aux élémens d’une éducation ordinaire l’enseignement des langues mortes. Il y travailla avec ardeur, mais son séjour y fut de courte durée ; ses manières graves, sa vie rigide lui attirèrent mille petites persécutions de la part de ses condisciples, et, de guerre lasse, il retourna chez lui pour se préparer à sa mission. Les quelques mois que Cartwright passa à Lexington furent tout ce qu’il reçut d’éducation régulière. Qu’on ne croie pas cependant qu’il soit demeuré un homme illettré. Tous ses loisirs furent désormais consacrés à l’étude : il se faisait indiquer par les anciens ou les présidens de son district les lectures à faire en voyage ou pendant l’hiver, et il apprit ainsi seul, outre les langues mortes et la théologie, le droit, les mathématiques et la physique.

Cartwright avait cru ne recevoir qu’une mission temporaire et locale ; le succès qu’il obtint dès cette première année en décida autrement. L’ancien du circuit ne voulut pas laisser échapper une si précieuse recrue : il se rendit chez le père de Cartwright, et, au