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est déjà en si bonne voie, verrait croître sa population, sa marine, son mouvement commercial, sa puissance financière. L’Angleterre compromettra-t-elle ces brillantes perspectives par déférence pour des passions locales qui donnent la mesure de la mesquine haine qui les inspire en demandant contre les Français l’interdiction de pêcher le saumon en même temps que la morue, comme de couper les piquets de bois nécessaires aux cabanes des pêcheurs ? Nous ne pouvons le croire. De son côté, la France maintiendra ce débat à un niveau plus élevé et plus digne d’une grande nation. Elle ne cédera pas à l’égoïste plaisir de neutraliser aux mains de son alliée une possession dont elle-même ne peut profiter ; mais elle ne laissera pas non plus mutiler le lot, déjà si modeste, que la destinée lui a fait en des lieux jadis pleins de sa gloire. Toute concession de sa part sur l’usufruit du littoral devra profiter à l’accroissement de ses pêches, soit à Terre-Neuve, soit à Saint-Pierre et Miquelon.

Ces fabriques de morue, pour les appeler par leur vrai nom, offrent à la subsistance des peuples des ressources qui ne se trouveraient nulle autre part, et que remplaceraient mal tes dons encore incertains et quelque peu chers de la pisciculture. Écoles de navigation, les grandes pêches élèvent, aux conditions les meilleures, des matelots d’élite pour l’état et pour le commerce : les services qu’elles rendent, déjà très grands, s’accroîtront encore, si les chemins de fer portent coup au grand cabotage, comme quelques informations le font craindre. Stations navales, elles permettent aux officiers français de continuer, dans l’Amérique du Nord, de vieilles traditions d’honneur et d’influence, en même temps que d’observer les événemens politiques. Enfin, refuges sanitaires, nos petites îles sont pour les équipages un précieux correctif de l’insalubrité des Antilles. En défendant avec une intelligente fermeté les conditions vitales de ses grandes pêches, le gouvernement de la France montrera qu’éclairé par l’histoire, il n’est indifférent à rien de ce qui peut assurer l’équilibre des puissances maritimes et la liberté de l’Océan, ce patrimoine commun et inaliénable de l’humanité. Que le gouvernement britannique de son côté, se souvenant combien de fois les excessives prétentions sont devenues des pierres d’achoppement, se garde de répudier sa signature. En ajoutant à sa propre force, il recueillera le suffrage de deux nations qui se font gloire entre toutes, et avec une éclatante et noble persistance, d’apprécier à leur juste valeur les bienfaits de la paix.

Jules Duval.