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temps, est-il dit dans une déclaration annexée au traité, « pour que les pêcheurs des deux nations ne fassent point naître de querelles journalières, sa majesté britannique s’engage à prendre les mesures les plus positives pour prévenir que ses sujets ne troublent en aucune façon par leur concurrence la pêche des Français pour l’exercice temporaire qui leur est accordé sur les côtes de l’île de Terre-Neuve, et elle fera retirer à cet effet tous les établissemens sédentaires qui y sont formés. »

Désormais clairement reconnu, le privilège des Français dans certaines limites territoriales fut sincèrement respecté jusqu’aux guerres de la révolution, qui mirent fin à leurs pêches elles-mêmes. Il fut de nouveau implicitement rétabli par le traité du 30 mars 1814, qui remit les choses sur le même pied qu’en 1792 ; mais les Anglais, pendant vingt années de libre possession, avaient exploré des rivages qu’auparavant ils ignoraient, et s’étaient installés en beaucoup de points. Ils avaient surtout apprécié sur la côte occidentale la baie de Saint-George, dont le rivage contrastait singulièrement par la fertilité des terres et la beauté du paysage avec le reste de l’île. Anglais et Irlandais s’y étaient groupés pour la pêche du hareng et du saumon, et pour le trafic avec quelques indigènes, débris de la sauvage tribu des Micmacs. Au rétablissement de la paix, les Français réclamèrent sur quelques points la liberté du rivage, et les gouverneurs anglais durent faire fléchir la résistance des habitans par des proclamations qui constataient notre droit ; mais généralement on montra une tolérance plus généreuse que prévoyante en laissant subsister des demeures, simples huttes au début, qui sont devenues à la longue de belles maisons et ont formé de grands villages et de petites villes. De temps à autre, les commandans français autorisèrent même la pêche concurrente pendant l’été, moyennant un partage des produits avec leurs nationaux. Ainsi se peupla la côte ouest. La baie de Saint-George compte aujourd’hui quinze cents habitans ; une baie voisine, celle des Îles, un millier. Pour désarmer la susceptibilité de leurs rivaux, les Anglais consentirent à leur tour quelques concessions, en laissant nos navires pêcher sur la côte de Labrador et dans tout le détroit de Belle-Isle, moyennant la simple redevance de quelques foies de morue. Par une mutuelle condescendance, une situation nouvelle se substitua peu à peu à celle qu’avaient consacrée les traités.

Cependant ces empiétemens respectifs suscitaient de fréquentes querelles, où les maîtres souverains de l’île se montraient enclins à méconnaître le droit de leurs rivaux. L’orgueil national, blessé de tout partage, eût volontiers confiné les Français dans les plus mauvaises stations, en étendant partout la concurrence anglaise. Sans