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Le peu qui nous fut laissé a néanmoins, comme une racine vivace, repris force et refleuri au souffle vaillant de nos populations acadiennes. La pêche de la morue a reconquis dans une certaine mesure le rang qui lui appartient dans le commerce et la navigation de la France. Elle emploie annuellement de 4 à 500 navires jaugeant de 50 à 60,000 tonneaux[1]. La production totale est évaluée de 35 à 40 millions de kilogrammes, d’une valeur actuelle de 14 à 16 millions de fr. Le goût agréable de la chair de morue, fraîche et sèche, ses qualités nutritives, un bon marché dont n’approche aucune substance animale (de 40 à 50 centimes le kilogramme), lui ouvrent tous les débouchés, et la consommation n’est limitée que par les frais de transport. Nos armateurs abandonnent le nord de l’Europe aux pêcheurs écossais, hollandais et norvégiens, la Belgique aux pêcheurs d’Ostende, qui vont chercher fortune sur le Dogger-Bank et les îles Fœroë, l’Amérique anglaise aux Canadiens et Terre-Neuviens ; mais ils étendent leur vues à la plupart des autres contrées que baignent l’Océan-Atlantique et la Méditerranée. Dans ces expéditions, la navigation au long cours et le grand cabotage trouvent un sérieux aliment. Après la France, leur meilleure clientèle d’acheteurs se trouve sur la Méditerranée, dans l’Italie, la Grèce, le Levant, l’Algérie. L’Espagne partage ses préférences entre l’Angleterre, la Norvège et la France : le système de ses droits de douanes lui fait trouver profit à envoyer des navires de transport charger aux lieux de pêche. Le Portugal, quoique entraîné dans le courant des intérêts anglais, ne nous échappe pas entièrement. Sur la côte occidentale d’Afrique, nos ports fournissent le Sénégal ; dans la mer des Indes, l’île de la Réunion. En Amérique, nos colonies des Antilles et de la Guyane, où la morue est la base de la nourriture animale des noirs, importent de France près de 4 millions de kilogrammes. Elle arrive sur le marché de Boston, grâce à des franchises douanières établies, dans ces derniers temps, entre Saint-Pierre et les États-Unis, qui comptent dans cette île une riche maison de commerce, et pénètre même sous le pavillon français dans le Chili.

Pour apprécier toute l’importance économique de ce seul poisson, il conviendrait de calculer ce que représentent de capitaux les denrées alimentaires pour la nourriture des équipages, les matériaux achetés et ouvrés pour la construction des navires, les agrès pour leur armement, et le sel, dont la consommation n’est pas moindre de 40 millions de kilogrammes. Par les mouvemens de

  1. En 1857, les chiffres exacts ont été de 528 navires chargés jaugeant 73,208 tonneaux. Les retours en France (sans compter les expéditions directes de Saint-Pierre et Miquelon) ont été de 31,592,128 kilogrammes, valant 13,504,015 francs. La France a reçu en outre de la grande pêche 2,483,505 kilogrammes d’huile, 430,539 kilogrammes de draches, 33,727 kilogrammes de rogues, 725,495 kilogrammes d’issues diverses.