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qu’un de venir le voir. » Jules envoya San-Gallo, qui reconnut que cet accident était dû à la qualité de la chaux de Rome, et que Michel-Ange employait son mortier trop humide. Buonarotti reprit son travail avec une ardeur extrême, et dans l’espace de vingt mois en termina sans autre accident la première moitié.

Le mystère dont s’entourait Michel-Ange avait vivement excité la curiosité publique. Les répugnances du peintre n’avaient point empêché Jules d’aller le voir plusieurs fois, et malgré son grand âge il était monté, par une échelle en chevilles et avec l’aide de Michel-Ange, qui lui tenait la main, jusqu’à la plate-forme. L’impatience le prit. Il voulait sans plus de retard faire partager à la foule son admiration. Michel-Ange eut beau objecter qu’il faudrait reconstruire les échafauds, qu’il n’avait pas mis la dernière main à son travail : le pape ne voulut rien entendre, et la chapelle fut ouverte au public le matin de la fête de la Toussaint, 1er novembre 1509. « Rome entière, dit Vasari, se précipita dans la Sixtine; Jules s’y porta le premier, avant que la poussière produite par la chute des échafauds fût tombée, et il y célébra la messe le même jour. »

Le succès fut immense. Bramante, voyant que ses mauvais desseins, bien loin d’avoir réussi, n’avaient servi qu’à augmenter la gloire de Michel-Ange, sorti triomphant du piège qu’il lui avait tendu, supplia le pape de confier à Raphaël la seconde moitié de la chapelle. Malgré l’affection qu’il portait à son architecte, Jules maintint sa résolution, et Michel-Ange reprit après une courte interruption les peintures de la voûte; mais le bruit de ces cabales était venu jusqu’à lui : il en fut très troublé, dit Condivi, alla vers le pape, se plaignit très vivement de l’injure que lui faisait Bramante, et il est probable que la froideur qui exista toujours entre Raphaël et lui date de cette époque.

La seconde partie de la voûte, de beaucoup la plus considérable, ne fut terminée qu’en 1512. L’impatience de Jules était telle qu’il faillit se brouiller une seconde fois avec Michel-Ange. Celui-ci, désirant se rendre à Florence pour quelques affaires, alla demander de l’argent au pape, qui lui dit : « Quand finiras-tu ma chapelle? — Quand je le pourrai, répondit Michel-Ange, — Quand je le pourrai, quand je le pourrai!... reprit l’irascible pontife. Moi, je te ferai jeter de tes échafauds, » et il le toucha de son bâton, Michel-Ange retourna chez lui, mit ordre à ses affaires, et était sur le point de partir, quand le pape lui envoya son favori Accursio avec ses excuses et 500 ducats.

Cette fois encore Michel-Ange dut renoncer à terminer son œuvre comme il l’aurait désiré. Il voulait donner à sec quelques retouches ; mais les échafauds une fois démontés, il prit son parti de n’y rien ajouter, disant que ce qui manquait à ses figures n’était pas important. « Il faudrait leur mettre un peu d’or, disait le pape. Ma chapelle paraîtra bien pauvre. — Ceux que j’ai peints là, reprit Michel-Ange, étaient de pauvres gens. » Et on renonça à rien changer. Ces peintures de la voûte de la Sixtine échappent à toute description. Comment donner une idée de ces innombrables et sublimes figures à ceux qui n’ont point pâli et tremblé dans ce temple redoutable? L’immense supériorité de Michel-Ange éclate dans cette chapelle même, où se trouvent les peintures de Ghirlandajo,