Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ses patrons par la nécessité et par la reconnaissance, avait enseigné l’art de flatter délicatement, et, sans y être aussi obligé qu’Horace, Boileau flattait à son tour par respect pour les saines doctrines et déférence pour les anciens. Heureusement Louis XIV valait beaucoup mieux qu’Auguste, et, grâce à lui, les flatteries que traduisait Boileau d’après Horace, exorbitantes dans le texte, devenaient plus acceptables dans la traduction.

L’origine étrangère ou servile des vieux poètes romains, funeste à leur dignité, n’a pas dû être sans influence sur leur talent. S’il est vrai, comme l’a dit Homère il y a trois mille ans, et comme l’histoire l’a prouvé depuis, que le jour qui enlève à l’homme sa liberté lui ôte en même temps la moitié de sa vertu, peut-on croire que cette influence fatale ne s’étende point sur l’intelligence ? Combien de sentimens féconds deviennent nécessairement étrangers à l’esclave ! combien de grandes choses auxquelles il ne peut s’intéresser ! La patrie d’abord, il n’en a plus : celle qui l’adopta n’est que sa marâtre ; son patriotisme doit être de la maudire, car elle l’a arraché à sa mère, au sol natal, à la liberté ; elle lui a enlevé tout ce qui donne du prix à la vie. — La famille ? L’esclave n’en a point à Rome. Même affranchi, il doit après sa mort laisser à son maître une partie de ce qu’il a pu gagner ; il ne peut léguer entièrement aux siens le fruit de son travail ; la tache originelle lui survit. — La gloire ? Soyez Térence, écrivez des chefs-d’œuvre, et vos riches patrons laisseront croire que vous n’avez été que leur prête-nom ; votre gloire ne vous restera pas entière après votre mort ; cette propriété-là aussi, il faudra la partager avec Scipion et Lélius. Montaigne ne voudra pas admettre qu’un serf africain ait pu s’élever à de telles œuvres, car « cela sent son gentilhomme ! » Quant à Plaute, croyez-vous qu’en tournant sa meule il s’intéresse beaucoup aux grandeurs de Rome, à la dignité, à la moralité de ses contemporains ? Aussi, chez Plaute et Térence, si vous trouvez çà et là quelque allusion patriotique, n’y attachez pas trop d’importance : l’accent y manque ; c’est tout au plus le couplet national de nos vaudevilles, un moyen de succès, et qui n’engage à rien.

Cette absence d’enthousiasme n’offre pas grand inconvénient dans la comédie, et c’est dans la comédie et dans la satire que les poètes de la première époque se sont surtout distingués, — c’est-à-dire dans les deux genres qui demandent le moins de poésie. Le sentiment vigoureux de la réalité fait le principal mérite de la comédie ; ce sentiment, étranger à l’idéal, et qui dans une certaine mesure en est même la négation, était inné chez le Romain, peuple pratique par excellence. Sans doute la fantaisie, la passion, la grâce y trouvent leur place ; mais le principal mérite de la comédie