Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/772

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

responsabilité morale, forme pratique du libre arbitre donné à l’homme ; c’est ensuite la solidarité de la famille qui est celle de la société même, et qui nécessairement exige une règle pour son exercice et engendre la loi ; puis vient la médiation entre les familles, qui prépare une juridiction supérieure ; enfin l’autorité religieuse, qui résume un premier progrès et les généralise tous, et qui fonde et fait accepter la justice sociale. Ces élémens ne se présentent point successivement et en manière de découvertes ou de déductions, comme nous sommes obligés de les présenter dans l’analyse ; ils coexistent dès l’origine, seulement les uns se développent aux dépens des autres, selon les temps, le degré et la mesure d’ordre que la société possède, selon ses progrès ou ses mouvemens rétrogrades. La société chrétienne en a vu très clairement l’agitation et la lutte dans la période barbare ; après Charlemagne, qui tenta une transformation prématurée, ils se trouvèrent engagés dans l’organisation féodale et entraînés dès lors dans le mouvement d’amélioration que l’église et la royauté exerçaient sur elle. L’œuvre fut longue et difficile, comme toutes celles qui exigent un changement profond dans les idées. Longtemps encore la vengeance s’exerça par les guerres privées ; elle acquit même sous cette nouvelle forme une plus grande puissance, mais elle ne prévalut point complètement. La civilisation avait pris pied définitivement dans le monde moderne ; l’état était créé du moins, et remplaçait l’établissement de conquête ; on n’était plus même jugé selon la loi de sa race, mais selon une loi commune dans son principe, quoique variable encore par la diversité des coutumes. Tout dépendait dès lors d’un mouvement qui avait triomphé dans toute l’Europe, et qui fut la civilisation moderne.

Dans les deux premiers volumes publiés de cette Histoire du Droit criminel des Peuples modernes, M. du Boys a poussé cette savante et laborieuse étude jusque vers la fin du moyen âge. Pour l’étude de l’histoire sociale, que nous avons seule envisagée, il nous a paru qu’on y trouverait beaucoup de secours. M. du Boys a profité des nombreux travaux qui, en France et en Allemagne, ont débrouillé les obscurités de ces origines ; Grimm, Warnkœnig, Stein, Wilda, Pardessus, Laboulaye, Laferrière et beaucoup d’autres ont été mis à contribution. Il a principalement eu en vue l’Europe occidentale, et surtout la France ; mais il n’a point négligé les peuples slaves ni la législation musulmane, et s’est attaché à faire ressortir partout ces analogies qui attestent l’unité du principe dans chaque développement humain. En somme, on voit dans ces deux premiers volumes le droit pénal et la juridiction criminelle, ces deux grands et terribles instrumens de la sécurité publique et de la liberté individuelle, sortir de leur état élémentaire encore visible dans les lois barbares, se modifier par le passage de la vie nomade et guerrière à la vie sédentaire et propriétaire, s’adoucir et arriver à des principes rationnels et progressifs par l’influence du christianisme et des canons pénitentiaires de l’église, et passer ensuite à cet état d’élaboration régulière et continue d’où est sorti plus tard, par la centralisation du pouvoir et les transformations de la jurisprudence, un système désormais fondé sur la raison seule, et jusqu’à un certain point perfectible comme la société même.


LOUIS BINAUT.


V. DE MARS.