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c’est un géant qui marche, et s’il a conservé jusqu’au terme de sa longue carrière la ferveur et le feu de la jeunesse, il n’a jamais eu ni les incertitudes, ni les faiblesses, ni les tâtonnemens qui d’ordinaire embarrassent le début de la vie.


II.

Après l’expulsion des Médicis, Florence fut livrée pendant quelques années aux luttes les plus vives. La mort de Savonarole, qui assurait la défaite des réformateurs violens, rendit le pouvoir au parti modéré, et l’on recommença à s’occuper plus que jamais des arts, proscrits un moment par le fougueux dominicain. Michel-Ange désirait revoir sa patrie, et il trouva bientôt l’occasion d’y revenir.

L’œuvre de Santa-Maria del Fiore possédait depuis longtemps un bloc énorme de marbre de Carrare dont plusieurs sculpteurs avaient vainement essayé de tirer parti, et qu’ils n’avaient réussi qu’à gâter. Soderini[1] avait pressé Léonard de Vinci de s’en charger, mais celui-ci avait déclaré qu’on n’en pouvait rien faire. Quelques amis écrivirent à Michel-Ange. L’impossible le tentait déjà; il accourut sur-le-champ, répondit d’en tirer une figure sans aucune pièce de rapport, obtint la concession du bloc par délibération du 16 août 1501, pour en faire un David qu’il devait terminer en deux ans avec une rétribution de 6 florins d’or par mois. Il construisit un atelier sur la place même et s’y enferma pendant dix-huit mois sans permettre à personne de voir son ouvrage. Le colosse de la place du Palais-Vieux fut le résultat de ce travail solitaire. Dans l’exécution de cette figure, Michel-Ange a sans doute été gêné par les dimensions du marbre; il a dû renoncer au projet qu’il avait d’abord conçu de lui donner plus d’action. Un dessin du plus haut intérêt, possédé jadis et décrit par Mariette, et qui est revenu après de longs voyages au musée du Louvre, nous révèle la première pensée de cet ouvrage. David pose le pied sur la tête de Goliath. Ce mouvement, en faisant avancer le genou, rendait impossible, à cause de la forme du marbre, l’exécution de la figure ainsi conçue. Michel-Ange dut renoncer à sa première intention, et il faut admirer dans cette statue la noblesse de l’attitude, l’énergique élégance de la forme, la science consommée et le fini du travail, plutôt que l’exacte représentation d’un personnage historique. Le caractère indéterminé de cette figure avait déjà frappé les contemporains, car Condivi l’appelle simplement « le géant. »

Le David fut placé le 8 juin 1504, et entièrement terminé le 8 septembre de la même année. On avait fini, après d’orageuses discussions, par s’entendre sur la place que devait occuper le colosse. Les difficiles manœuvres de la translation s’accomplirent sous la direction de Pollajuolo et de San-Gallo. Les documens conservés aux archives de Sainte-Marie montrent quelle sollicitude intelligente les Florentins portaient dans l’ad-

  1. Soderini n’était pas encore gonfalonier à vie, comme le dit Vasari; il ne fut élu qu’en 1502.