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rentin[1] pour un antique. Vasari nous avertit, il est vrai, « que le cardinal n’avait pas le moindre goût pour les arts, et qu’il était fort ignorant.»

Voici la lettre de Michel-Ange

« 2 juillet 1496.

« Mon cher Lorenzo, je ne vous écris que pour vous dire que nous sommes heureusement arrivés samedi dernier, et que nous sommes allés aussitôt chez le cardinal San-Giorgio, à qui j’ai présenté votre lettre. Il parut satisfait de ma visite, et voulut que j’allasse immédiatement voir quelques statues. J’y employai toute cette journée, ce qui m’empêcha de remettre vos autres lettres. Dimanche, le cardinal vint à la maison neuve, et me fit chercher. J’y allai, et il me demanda ce qu’il me semblait des choses que j’avais vues; je lui dis ce que j’en pensais, et je pense que ce sont certainement de beaux ouvrages. Le cardinal me demanda si je me sentais le courage de faire quelque chose de beau. Je lui répondis que je ne ferais pas de si grandes choses, mais qu’il verrait cependant ce que je ferai. Nous avons acheté un bloc de marbre pour une figure de grandeur naturelle, et je commencerai lundi à y travailler. Lundi dernier, je présentai vos autres lettres à Rucellai, qui mit à ma disposition l’argent dont j’aurai besoin; j’en fis autant pour celle de Cavalcanti. Je remis aussi la lettre à Baldassaro[2], et je lui demandai l’enfant[3], en lui disant que je lui rendrais l’argent. Il me répondit très violemment qu’il le mettrait plutôt en cent morceaux, qu’il l’avait acheté, et qu’il était à lui ; qu’il avait des lettres qui établissaient qu’il avait satisfait à ce que je lui demandais, et qu’il n’avait aucun motif pour le rendre. Il s’est beaucoup plaint de vous, disant que vous avez mal parlé de lui. Quelques-uns de nos Florentins sont venus pour nous accorder, mais ils n’ont réussi à rien, de sorte que je vais m’adresser directement au cardinal, ainsi que me le conseille Balducci. Je vous tiendrai au courant de ce qui arrivera. Rien d’autre par celle-ci. Je me recommande à vous. Dieu vous garde du mal.

« MICHELAGNOLO, in Roma. »


Michel-Ange demeura à Rome de 1496 à 1501. Comment ces cinq années furent-elles remplies? C’est ce qu’on ignore presque complètement. Il était déjà célèbre, dans toute la force de la première jeunesse, et l’on peut supposer que les quatre ou cinq statues qui nous restent et qui datent de cette époque ne sont pas les seuls ouvrages qui l’aient alors occupé. Sans parler des quinze figures pour la bibliothèque du Dôme de Sienne, commandées par le cardinal Piccolomini, dont nous ne savons absolument rien, quoique quatre d’entre elles paraissent avoir été exécutées, nous ne connaissons que le Bacchus, l’Adonis des Offices de Florence, et la Pietà aujourd’hui à Saint-Pierre, qui appartiennent à ce premier séjour à Rome. Le Bacchus fut commandé par un amateur nommé Jacopo Galli, la Pietà par le cardinal Jean de la Grolaye de Villiers, abbé de Saint-Denis, ambas-

  1. Cette statue, après avoir appartenu au duc d’Urbin, passa aux mains d’Isabelle, duchesse de Mantoue. De Thou la vit encore à Mantoue en 1573.
  2. Baldassaro de Milan, qui avait servi d’intermédiaire pour cette plaisanterie.
  3. La statue de l’Amour.